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Il y a quelques années, quand M. de Schmerling, reprenant le programme du prince de Schwarzenberg, avec des idées plus libérales sans doute, mais dans la même vue de centralisation, essayait de soumettre à un régime unique les races diverses de l’empire d’Autriche, quand la Hongrie était privée de ses antiques franchises et menacée dans son esprit national, sous quelle forme éclataient les protestations ? On ouvrait des souscriptions populaires pour élever une statue au comte Széchenyi. Le comte Széchenyi était le représentant de la patrie hongroise. N’était-ce pas lui qui en 1825 avait réveillé ce sentiment national dont le cabinet de Vienne espérait triompher par la force ? Se rattacher au grand Magyar, c’était dire à l’Autriche : Tous vos efforts sont vains ; c’était lui dire aussi : En défendant pied à pied l’autonomie hongroise, nous ne sommes pas les ennemis des Habsbourg. Le comte Széchenyi en effet est bien le type de ces hommes qui ont pu être poussés à la révolte par les prétentions oppressives de la vieille Autriche, qui ont pu faire cause commune avec la démagogie dans une heure de crise, qui ont paru briser les liens séculaires du peuple hongrois et de la monarchie, mais qui n’agissaient ainsi que pour sauver la patrie hongroise, c’est-à-dire, on le voit aujourd’hui, pour conserver à l’Autriche de l’avenir un élément de rénovation et une chance de salut. Chez de pareils hommes la révolte n’était pas une entreprise révolutionnaire, c’était la résistance au nom du droit. Ils connaissaient l’Autriche, on peut l’affirmer désormais, mieux que l’Autriche ne se connaissait elle-même : ils la servaient en se défendant. Leur idéal, c’était l’autonomie de la nation magyare sous la royauté tutélaire de la maison impériale. La longue histoire des luttes de l’Autriche et de la Hongrie ne signifie pas autre chose ; ce que leurs ancêtres avaient fait durant des siècles par une sorte d’instinct, ils le faisaient de nos jours avec une pleine conscience de leur mission particulière et de l’intérêt commun. De là autrefois ces alternatives extraordinaires d’hostilité violente et de dévouement chevaleresque à la cause des empereurs, comme aujourd’hui ces retours inattendus de confiance, ces tentatives d’alliance et d’organisation nouvelle au lendemain d’une guerre à mort. Chaque fois que les Magyars du XIXe siècle, poussés à bout par les excès du système centralisateur, étaient contraints d’accepter le concours de la démagogie, leur situation était véritablement tragique. L’un d’eux, le plus grand de tous, — c’est le titre que lui a décerné la Hongrie, — le précurseur du mouvement qui transforme l’Autriche en ce moment même, ressentit si violemment ces épreuves dans la fièvre de 1848, qu’il y a laissé sa raison : douloureuse histoire qui, dans une période tour à tour glorieuse et