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empreinte et de l’esprit et des méthodes des antiques philosophies indigènes. Si à l’époque des invasions, qui n’ont pas plus épargné l’Orient que l’Occident, la Grèce n’a pas pu fermer l’accès de son sol à tout élément étranger, sa population vivace est sortie pure du mélange, avec son type primitif, son caractère historique, ses vifs instincts et même avec sa langue toujours reconnaissante, quoique visiblement plus altérée. Elle a sans doute, cela était inévitable, contracté quelques défauts dans sa longue servitude, et dans ses vaillantes luttes elle a dû en contracter d’autres. Elle a, comme les Israélites, pris des habitudes mercantiles ; le commerce était à peu près la seule issue régulièrement ouverte à son activité, et si c’est une école de prudence et d’économie, il laisse trop souvent sommeiller de nobles facultés. D’autre part, il est beau de combattre longtemps et avec acharnement pour son indépendance ; mais plus dure la lutte, plus il est à craindre qu’elle ne dégénère, surtout dans les classes ignorantes, en brigandage et en désordre. C’est à la liberté de faire disparaître ces derniers vestiges de l’oppression étrangère.

Il faut, après avoir constaté les modifications superficielles qui n’atteignent la race ni en son essence ni dans la majorité de ses enfans, considérer les Hellènes dans leur ensemble et essayer de caractériser leurs tendances d’après leurs chants populaires. De toutes les professions, l’agriculture est chez eux la plus délaissée. Le poète sourit au guerrier, au matelot, au marchand, au prêtre, au moine, au savant, au berger, jamais à l’homme de la charrue. L’instabilité de la propriété foncière sous la domination turque, l’incertitude même où était le pauvre colon de recueillir ce qu’il avait semé, les craintes qui l’agitaient sans cesse, avaient peuplé de klephtes la montagne, la mer de marchands et de corsaires, et fait prendre en dédain ceux qui se résignaient à la tâche ingrate et misérable de labourer pour autrui. C’est pourquoi dans cet immense romancero, si l’on en excepte quelques vers d’un chant de Trébizonde, les laboureurs semblent, comme les soudras de l’Inde, être nés des pieds de Brahmâ. Ce sentiment d’aversion, qui se remarque aussi en Albanie, eût fort scandalisé l’ancien monde pélasgique, qui adorait la terre non-seulement comme une nourrice, mais encore comme une mère, personnifiée en Cybèle ou Déméter (la terre mère) ; il eût fort étonné la Grèce au temps où Hésiode chantait les travaux et les jours. C’est là encore une trace visible de la servitude.

Le beau chant populaire bulgare qui raconte la conversation du riche Iovan avec un pacha prouve que les Finno-Slaves établis des deux côtés du Balkan (Hémus) comprenaient mieux le rôle considérable que l’activité agricole peut donner à une nation. On y trouve même dans la conclusion un sentiment de légitime fierté qui fait un