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m’étais formées à Londres sur les dispositions de l’empereur Nicolas envers nous, sur la part qu’elles avaient eue dans le traité du 15 juillet 1840, et sur la situation qu’elles nous faisaient envers la Russie après ce traité. J’attendis, pour répondre à M. de Barante, que les débats de l’adresse dans les deux chambres fussent terminés, et que le nouveau cabinet eût droit de se considérer comme établi. Je lui écrivis alors[1], en lui envoyant la dépêche officielle que j’adressais à nos agens dans les diverses cours : « Je sors d’une grande lutte. La bataille est, je crois, bien gagnée ; mais je ne me fais aucune illusion, cette bataille n’est que le commencement d’une longue et rude campagne. Depuis 1836, depuis la chute du cabinet du 11 octobre 1832, le parti gouvernemental est dissous parmi nous, et le gouvernement est flottant, abaissé, énervé. Le grand péril où nous sommes arrivés par cette voie nous en fera-t-il sortir ? Ressaisirons-nous le bien d’une majorité vraie et durable par l’évidence du mal que nous a fait son absence ? Je l’espère, et j’y travaillerai sans relâche. C’est commencé. La chambre est coupée en deux. Le pouvoir est sorti de cette situation oscillatoire entre le centre et la gauche qui a tout gâté depuis quatre ans, même le bien ; mais tout cela n’est encore qu’un commencement. Du reste, je ne veux pas vous envoyer mes doutes, mes inquiétudes. Je crois le bien possible, probable même, à travers des obstacles, des embarras, des ennuis, des échecs innombrables. Cela me suffit, et cela doit suffire à tous les hommes de sens ; la condition humaine n’est pas plus douce que cela. Quant à nos affaires au dehors, j’ajouterai peu de chose à ma dépêche officielle ; elle vous dit, je crois, clairement l’attitude et le langage que je vous demande, car il n’y a en ce moment rien de plus à faire qu’une attitude à prendre et un langage à tenir. L’isolement n’est pas une situation qu’on choisisse de propos délibéré, ni dans laquelle on s’établisse pour toujours ; mais, quand on y est, il faut y vivre avec tranquillité jusqu’à ce qu’on en puisse sortir avec profit. L’isolement a pour nous aujourd’hui un grand mérite, la liberté. La nôtre est désormais entière. Nous ne devons rien à personne. Nous sommes en dehors de toutes les rivalités comme de tous les engagemens. Nous verrons venir. Nous n’avons nul dessein de rester étrangers aux affaires générales de l’Europe. Nous croyons qu’il nous est bon d’en être, et qu’il est bon pour tous que nous en soyons. Nous sommes très sûrs que nous y rentrerons. La France est trop grande pour qu’on ne sente pas bientôt le vide de son absence. Nous attendrons qu’on le sente en effet et qu’on nous le dise.

  1. Le 13 décembre 1840.