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négocians de Metzovo, dans le Pinde, ont su mériter l’estime de maîtres peu disposés à l’enthousiasme pour les raïas, il faut espérer que, sous des autorités chrétiennes, les Albanovalaques finiront par rivaliser avec dès frères qui ont compris la nécessité de sacrifier les coutumes de leurs pères à l’intérêt de leur race et à la cause de la civilisation.


II. — LES CROYANCES.

Le sentiment religieux qui se fait jour dans les chants klephtiques n’est pas exclusivement chrétien : même dans l’invocation des saints et de la Vierge, il n’a le plus souvent de chrétien que la forme ; le fond en est encore tout païen. Cela tient sans doute à l’opiniâtre vitalité des superstitions populaires, que l’église grecque, non plus que l’église latine, n’a nulle part complètement déracinées ; mais cela tient aussi à une cause plus profonde, à l’esprit de la race indo-européenne, laquelle semble constituée de telle sorte qu’elle inventerait de nouveau nombre de ces vieux mythes, si par hasard elle les avait oubliés. De même que l’Hellène des anciens temps éprouvait un irrésistible besoin de personnifier les forces de l’univers, de même le fils de la Grèce moderne, tel qu’il nous apparaît dans les chants à une époque où les vives lumières de l’Occident n’avaient pas brillé sur la péninsule, ne peut comprendre la nature qu’en supposant sous chaque phénomène une force vivante. De ces êtres mystérieux, dont l’antiquité avait peuplé le monde, il n’a que par exception retenu les noms, parce que ces noms ont été maudits par la religion nouvelle ; il les appelle des esprits (par exemple, l’esprit du fleuve). Les uns, à l’en croire, prennent la forme d’un dragon, et les autres la forme d’un taureau[1]. Les astres sont, ainsi que les animaux, doués d’intelligence, et, comme eux, s’intéressent à tous les accidens de notre vie, doctrine que Socrate lui-même préférait à « l’extravagante » théorie d’Anaxagore, qui faisait du soleil un corps insensible. « O ma belle lune dit une mère affligée invoquant la chaste Artémis, lune brillante qui fais le tour du monde, qui d’en haut où tu te promènes vois les choses d’en bas où nous sommes, n’as-tu pas aperçu mon fils, mon enfant chéri ? » La a mère du soleil » maudit une jeune fille parce que sa chanson et le bruit de son métier retardent le coucher de son radieux fils. Ces traits rappellent la ballade roumaine : Soarele si lima. Un vieux coursier, « pour l’amour de sa belle maîtresse » qui lui portait à manger « dans les plis de son tablier, » s’épuise de fatigue, et l’amène à

  1. Voyez Passow, verbo, et Thiersch, Ng. Volkspoes. P. 28.