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PROSPER RANDOCE.


reproches du bonhomme lui étaient amers. On connaît l’histoire de cette princesse qui ne put dormir de toute une nuit parce qu’on avait glissé sous son matelas trois petits pois chiches. Elle prouva par là, dit la légende, qu’elle était une vraie princesse. À ce compte, Didier était un vrai prince, son honneur était douillet. Le sentiment d’avoir prêté à de fâcheuses interprétations lui causait un malaise insupportable ; il s’était compromis, sa loyauté était en souffrance. Aussi se promettait-il de ne pas quitter Saint-May sans avoir revu M. Lermine et l’avoir forcé d’entendre ses explications.

Cependant le calme se rétablit peu à peu dans la maison. Les allées et venues avaient cessé, les portes ne battaient plus. Le docteur entra dans la salle à manger, s’essuyant le front ; il avait grand besoin de se rafraîchir. — Tout va bien, dit-il. Notre adorable furie est hors d’affaire. Elle avait pris de la morphine ; mais la dose n’était pas suffisante. Je crois que cette brave femme ne voulait se tuer qu’un peu, tout juste assez pour savoir ce que c’est et pour attendrir son mari. Dès qu’elle s’est vue glisser sur la pente fatale qui conduit à la barque à Caron, elle s’est raccrochée à la vie. Heureusement pour elle, nous avions de l’émétique sous la main. Elle me criait du haut de sa tête : Docteur, je ne veux pas mourir… Parbleu ! je n’avais pas de peine à l’en croire… Des infusions de café, du repos, et voilà qui est dit, n’en parlons plus.

Didier remercia le docteur des bonnes nouvelles qu’il lui apportait : — Eh ! seigneur don Juan, vous en êtes quitte pour la peur, reprit celui-ci. Après tout, vous êtes excusable… — Et faisant claquer sa langue : — Vraiment cette femme a de beaux restes ; mais les jeunes gens d’aujourd’hui manquent de prudence, ils se font prendre.

Didier ne se donna pas la peine de le tirer d’erreur. Il lui témoigna seulement son désir d’obtenir une audience de M. Lermine.

— Oh ! pour cela, ce sera difficile, répondit le docteur. Ce brave homme à l’air de vous en vouloir beaucoup, Laissez-le tranquille, il est occupé à dire son chapelet.

Didier insista. Le docteur sortit et revint l’instant d’après, rapportant que M. Lermine l’avait renvoyé bien loin, qu’il refusait absolument de voir Didier. — Ce bon vieillard me paraît têtu comme un âne rouge, ajouta le docteur. Je vous défie de le faire revenir de sa décision… Aussi bien, laissez donc, les explications n’ont jamais rien expliqué. Didier ne perdit pas courage ; s’étant procuré de l’encre et du papier, il écrivit en hâte un billet qu’il fit porter par une servante à M. Lermine. Vingt minutes après, son billet lui fut rapporté sans avoir été ouvert ; il était accompagné de ces lignes tracées au crayon :