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qu’il attendait ses ordres, qu’il se mettait entièrement à sa disposition.

Elle prit un carnet sur la table, en arracha un feuillet où elle écrivit rapidement ces mots : « Rompez avec M. Lermine et partez sur-le-champ ; sinon je dirai tout. » Et présentant ce feuillet à Didier : — Allez, monsieur, lui dit-elle, partez en hâte. Vous avez quelques heures à vous ; je n’arriverai à Saint-May que vers le soir. Si vous réussissez, je consentirai peut-être à vous tout pardonner. — Je n’ai rien à me faire pardonner, répondit Didier.

Cinq minutes après, il était en selle ; enfonçant ses deux éperons dans le ventre de son cheval, il le lança à toute bride. À Paris, il avait fait connaissance avec la colère ; en ce moment, il était travaillé d’une rage sourde, qu’il sentait couver dans son cerveau comme une tempête qui s’amasse. Il avait des bourdonnemens dans les oreilles, des tintemens dans les tempes. Il lui semblait que, s’il eût tenu entre ses mains une barre de fer, il l’aurait ployée et pétrie comme une cire molle. Dès que son cheval ralentissait le pas, il lui serrait l’éperon et le faisait repartir de plus belle. En moins de trois quarts d’heure, la pauvre bête atteignit Saint-May, blanche d’écume, les flancs ruisselants de sueur.

En arrivant devant la porte de l’auberge, Didier, sans mettre pied à terre, héla le garçon d’écurie et le pria de s’informer si M. Randoce était là. M. Lermine reconnut sa voix et accourut. — Par quel heureux hasard ?… s’écria-t-il ?

— .M. Randoce est-il à Saint-May ? interrompit brusquement Didier.

— Non. Il est à Rémuzat ; il y travaille. Dans deux heures, il viendra dîner ici, et nous reverrons ensemble son ouvrage. Eli ! eh ! je ne le laisse pas respirer, ce garçon. Avant de lui accorder ses lettres de maîtrise, je lui fais faire son chef-d’œuvre ;… mais vous ne m’expliquez pas…

— J’ai rencontré le messager en m’en allant. Il m’a remis un pli… Ce sont des lettres très pressées pour Randoce. Je soupçonne qu’elles ont rapport à une affaire qui me concerne aussi. J’ai voulu en conférer avec lui. Peut-être sera-t-il forcé de retourner à Paris sans délai.

— Oh ! oh ! doucement ! reprit M. Lermine. Que signifient ces mystères d’état ?… Je n’entends pas cela. Nous sommes occupés, lui et moi, à convenir de nos faits. Il nous reste plus d’un point à débattre.

— La vie est pleine de contre-temps, poursuivit Didier. À propos, j’ai rencontré Mme Lermine à Sahune. Dans quelques heu elle sera ici.