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Las de chercher le mot de l’énigme, il s’était mis à déjeuner, quand l’hôiesse lui annonça que l’étrangère qui venait d’arriver demandait à lui parler. Il se leva et trouva dans la cuisine la camériste, qui le pria de la suivre.

— Madame est souffrante, lui dit-elle ; ce voyage si précipité l’a fatiguée. J’espère que ce ne sera rien. Madame ne veut jamais écouter m’Ils ; elle n’est plus d’âge à faire des folies. Tout en bavardant, elle le conduisit en haut d’un escalier de bois, et, frappant trois coups à une petite porte en niche, elle lui fit signe d’entrer et se retira.

Didier trouva Mme Lermine assise dans un fauteuil dépenaillé, près d’une fenêti e. Elle était très pâle, et ses traits amaigris et défaits annonçaient moins la fatigue que les ravages d’un violent chagrin. Elle ne laissait pas d’avoir grand air dans son accablement. En voyant entrer Didier, elle releva la tête et lui montra du doigt une chaise. Il s’assit et garda le silence, attendant qu’elle l’interrogeât. Elle parut chercher péniblement les premiers mots d’une phrase qui ne venait pas, puis, détournant les yeux, elle regarda une estampe enluminée qui décorait la muraille. Ne sachant que penser ni que dire, Didier lui adressa quelques questions banal es, répondit a peine. Enfin elle fit un effort sur elle-même et lui demanda s’il arrivait de Saint-May, s’il avait vu M. Lermine. Il n’avait pas » réponse que, portant brusquement son van : -a figure, elle fondit en larmes ; tout son corps fut l’un tremblement convulsif, une crise de nerfs se déclara.

Didier, aussi inquiet que surpris, s’élança dans le corridor, appela la camériste, qui accourut au secours de sa maîtresse. Pendant elle lui prodiguait ses soins en personne qui avait la pratique de ces sortes d’accidens, Didier redescendit a la cuisine, où il tint pied à boule, pensant avec raison que, la crise passée, Mme Lermine le ferait rappeler. Il n’avait pas encore de soupçons, mais il avait cette anxiété vague qui les précède. C’est ainsi qu’un voyageur, avant que l’orage éclate, le sent déjà peser sur lui et tient ses regards attachés sur le point de l’horizon qu’embrasera tout à l’heure un premier éclair.

Au bout de vingt minutes, la camériste reparut, et, lui faisant force excuses, le pria de remonter auprès de Mme Lermine, qui l’attendait. — De grâce, monsieur, lui dit-elle, engagez madame à ne pas pousser jusqu’à Saint-May, ce voyage ne peut lui faire que du mal.

Didier retrouva Mme Lermine à la même place et dans la même attitude. À peine eut-il fermé la porte qu’elle lui cria : Vous voyez, monsieur, l’état où je suis. Puisque vous savez tout, dispensez-