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représenta que Prosper était jeune, avait la tête chaude, les passions vives, que dans son propre intérêt il importait de ne pas lui lâcher la bride. Il en eût dit davantage, si M. Lermine ne l’avait interrompu. — Halte-là ! mon cher Peyrols, fit-il. Vos façons d’agir sont plaisantes. Vous commencez par vendre chat en poche, après quoi vous criez gare. Je vois que vous voudriez vous mettre à couvert de tout reproche. Sachez que, si jamais j’ai à me plaindre de votre protégé, c’est à vous que je m’en prendrai : sans votre puissante recommandation, il n’eût pas triomphé de mes défiances ; mais n’ayez crainte, plus je l’étudié, plus je suis édifié de ses sentimens. Je lui expliquai l’autre jour les devoirs d’un journaliste chrétien, et je vis qu’il avait réfléchi sur ces matières. — Eh oui ! me disait-il, nous sommes au service du bon pasteur, et nous l’aidons à paître ses brebis.

Ces mots de pasteur et de brebis firent faire la grimace à Didier ; il se défiait des saintes bucoliques de Prosper. Il se souvint de cet évêque grec très pieux, lequel dans sa jeunesse avait été voleur de moutons, et qui appelait cet heureux temps « sa vie pastorale. »

Un matin il prit son frère à part, essaya d’avoir avec lui un entretien sérieux. — M. Lermine m’a déclaré, lui dit-il, que, si jamais vous lui donniez quelque sujet de plainte, il s’en prendrait à votre serviteur. Vous prétendez avoir quelque amitié pour moi, et vous savez que j’ai beaucoup à vous pardonner. Tâchez que dans cette occasion-ci du moins je n’aie pas à me repentir de ma complaisance.

— Vous pouvez dormir sur vos deux oreilles, repartit Prosper. Quel sujet de plainte voulez-vous que je donne à ce digne homme ? Lui et moi, nous sommes faits pour nous entendre ; il a l’humeur très donnante, j’ai l’humeur assez recevante ; cela s’arrange à merveille, et vous voyez que nous avons été mis au monde pour faire notre bonheur réciproque. Je lui fournirai d’excellente copie, et je la lui ferai payer le plus cher possible. C’est le fond du commerce, et vendre cher est très licite, pourvu que la marchandise ne soit pas avariée et que le marchand fasse bon poids.

— À la bonne heure ! Vous me parlez un langage que je comprends ; j’aime mieux cela que les pastorales dont vous le régalez.

— Quand donc vous déferez-vous de votre pédanterie ? lui répliqua Prosper en haussant les épaules.

À la fin de la semaine, quelques instances qu’on fît pour le retenir, Didier résolut de regagner ses pénates. Bien qu’il eût quelque amitié pour M. Lermine, il était excédé de ses éternels alléluias, de sa fontaine, de son journal, de ses visions cornues et de ses sourires mystiques. Aussi bien M. Lermine avait de très longs tête-à-