Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 70.djvu/564

Cette page n’a pas encore été corrigée
560
REVUE DES DEUX MONDES.


quoi ! vous désirez que je me range, que j’apprenne à vivre correctement… Ne voyez-vous pas que les nobles fonctions auxquelles j’aspire vont me guérir radicalement du baccarat et de toutes mes folles amours ? On a beau dire, l’habit fait le moine. Que j’entre une fois dans la peau d’un censeur catholique, et je prétends devenir en moins de huit jours un petit saint de bois… Mais parlez donc, mon cher. Faites-moi du moins la grâce d’articuler vos objections.

— Je ne vous cacherai pas que j’en ai beaucoup, répliqua Didier. Et d’abord ce vœu solennel que vous aviez fait de vous consacrer tout entier au grand art, je regrette que vous soyez si prompt à le rompre. Le Fils de Faust…

— N’y perdra rien, interrompit Randoce ; bien au contraire. Que diable ! un ouvrage de cette importance et qui doit révolutionner le théâtre ne peut s’écrire au courant de la plume, tout d’une haleine et dans un temps réglé. Un poète est-il un artisan qui travaille à la tâche ? L’inspiration ne se commande pas. L’esprit de Dieu souffle où il veut et quand il veut. La poésie a son heure du berger et nous devons attendre son bon plaisir ; mais en attendant il faut avoir quelque chose qui fasse aller la cuisine. Vous me direz : Venez vivre chez moi. Nenni, mon cher, je ne mettrai les pieds dans votre castel qu’après vous avoir payé ma dette, et c’est à quoi m’aidera le Censeur catholique. Je vous croyais un créancier commode et tout à fait gentil. La peste ! vous portez vos cinquante mille francs de créance dans vos yeux… D’ailleurs ne sommes-nous pas dans ce monde pour utiliser toutes nos aptitudes, tous nos talens ? Je voudrais en vain me le dissimuler, je chasse au poil et à la plume. Il y a dans votre serviteur un poète et un journaliste. Il faut que je fasse vivre tout mon monde ; à chacun sa place au soleil !

— Autre objection, reprit Didier ; j’en passe et des meilleures. Vous sentez-vous réellement une vocation décidée pour la polémique religieuse ? Je ne doute pas de votre zèle ; mais y a-t-il en vous l’étoffe d’un Nonotte ?

— Je me sens fait pour tous les beaux métiers, répondit-il ; j’ai toutes les nobles ambitions. Faire des mots contre l’église est le pont-aux-ânes, tout le monde s’en mêle ; mais en faire contre Voltaire, voilà qui vous met un homme en vue ! Je vois une place à prendre, je la prendrai.

— Elle est prise. Certain écrivain de ma connaissance…

— Eh oui ! il a du talent. Pourtant il ne faudrait pas le surfaire. Il entonne avec assez de bravoure sa chanson nette ; mais aux plus beaux endroits, crac, on n’entend plus que le nasillement d’un sacristain.