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prouver à tout l’univers par des argumens sans réplique qu’il était revenu de mort à vie, Cependant il s’était un peu refroidi sur la sculpture, il lui gardait rancune ; voulant essayer d’autre chose, il s’avisa qu’il rendrait à la bonne cause des services plus effectifs en fondant une feuille hebdomadaire où toutes les productions de la littérature et des arts seraient appréciées et jugées au point de vue chrétien. Il n’y a plus de critique, disait-il, parce qu’il n’y a plus de principes, et le moyen d’avoir des principes, si l’on ne commence par avoir des dogmes ! Le Censeur catholique (c’est le titre qu’il se proposait de donner à son journal) devait servir de phare à la jeune littérature, la retirer de la voie de perdition, et propager cette grande vérité que pour la poésie comme pour l’art il n’est point de salut hors de l’église. S’il n’avait consulté que son zèle et la prodigieuse fécondité de sa plume, M. Lermine se serait chargé d’écrire lui seul son journal : il était de force à noircir une rame de papier en huit jours ; mais il craignait que son style, dont il faisait d’ailleurs le plus grand cas, ne parût suranné et quelque peu insipide aux lecteurs d’aujourd’hui, lesquels n’ont de goût que pour ce qui gratte le palais et happe fortement à la langue. Aussi désirait-il se procurer un secrétaire dont il aurait fait son rédacteur en chef, en lui commettant le soin de convertir ses élucubrations en tartines de haut goût.

Ce secrétaire devait être un de ces bons garçons qui, selon le mot du poète, « portent cuisine en poche et poivre concassé. » M. Lermine le dispensait d’avoir des idées, il en avait pour deux ; mais il exigeait qu’il eût beaucoup de modestie et beaucoup de talent, des vertus théologales et de l’esprit à faire peur, une foi très abondante en métaphores, une charité qui emportât la pièce, des soumissions infinies dans l’esprit et les nobles fiertés d’une plume libre et désinvolte. C’était beaucoup demander. Aussi M. Lermine avait-il juré que, si jamais il mettait la main sur ce sujet précieux, il récompenserait magnifiquement ses services ; on pouvait l’en croire, il n’avait jamais compté avec ses fantaisies, et l’argent lui fondait dans la main.

Prosper avait eu vent de ses projets. Il connaissait le bonhomme et tout le parti qu’on pouvait tirer de ses lubies. Malheureusement il était mal placé pour se recommander à ses bonnes grâces. Pendant deux ans, il avait exercé une sorte de lieutenance dans le coin de la reine ; il était l’un des suppôts de cette cabale détestée que M. Lermine appelait les amis de ma femme, et le bonhomme avait eu plus d’une fois à se plaindre de ses airs dégagés, de ses façons cavalières et de son ton persifleur ; mais les grands courages se signalent dans les grandes occasions. Prosper se présenta de but en