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modernes : or notez bien que le secret de notre tonalité n’est autre chose que celui de nos gammes ; mais quand on n’a que des mots à son service, que peut-on faire et comment s’expliquer ? Indiquons seulement les traits les plus saillans, les données les moins inaccessibles. Ce qui caractérise avant tout ce système moderne, c’est qu’il ne respecte pas ce qu’on peut appeler les gammes naturelles, c’est-à-dire l’ordre et la répartition des tons et des demi-tons dont se compose toute octave, ou, ce qui revient au même, tout intervalle entre deux sons équivalens au grave et à l’aigu. Les vibrations du monocorde donnent pour la première gamme, celle dont le point de départ est le premier degré de l’échelle sonore, une certaine succession de tons et de demi-tons, il s’ensuit que la seconde, celle qui part du second degré, ne peut manquer d’être autrement constituée que la première. Dans cette seconde gamme, vous n’avez plus deux tons d’abord, puis un demi-ton ; le demi-ton n’est précédé que d’un seul ton, et quant à la troisième elle diffère encore des deux autres, la quatrième également, et ainsi de suite jusqu’au bout de l’octave : de sorte que vous avez autant de gammes qu’il y a de degrés de l’échelle, gammes entièrement distinctes et dissemblables, gammes indépendantes, n’ayant entre elles aucun rapport, aucune relation, aucune porte d’entrée ni de sortie. Tel est le système antique dans sa généralité la plus haute.

Or le système moderne est diamétralement opposé. Il ne reconnaît pas l’indépendance, il n’admet pas même l’existence de toutes ces gammes se gouvernant elles-mêmes, chacune à sa façon. Pour lui, une seule gamme existe, un seul ordre, une seule distribution des tons et des demi-tons compris dans l’étendue de toute octave, et cette gamme type, méthodique, toujours la même, il la reproduit et la transporte sur chaque degré de l’échelle en modifiant à volonté les notes qui font obstacle, ou, pour mieux dire, en détruisant les intervalles naturels des sons entre eux et en leur substituant des intervalles artificiels au moyen d’accidens, de dièses et de bémols, pour les appeler par leur nom, signes conventionnels réglant dans une certaine proportion l’élévation et l’abaissement du son. De cette manière la première gamme, la seconde, la troisième, et successivement toutes celles qu’on peut placer sur chaque degré de l’échelle non-seulement diatonique, mais chromatique, sont identiques entre elles, mathématiquement parlant, c’est-à-dire composées de tons et de demi-tons placés dans le même ordre. En même temps, comme elles procèdent sur des sons différens, elles procurent nécessairement à l’oreille une certaine variété de sensations. Ajoutez qu’entre toutes ces gammes à la fois semblables et distinctes il existe des voies de libre communication qui leur permettent de pénétrer l’une dans l’autre, de s’entrelacer, de se marier, de se fondre, de moduler en un mot, art impossible dans le système antique, quelles que fussent, sous un autre rapport, ses innombrables et imperceptibles nuances. Cette