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au cœur des hommes la poignante sensation des maux que le raisonnement avait dénoncés à leur intelligence, la fin violente de l’empereur Maximilien, venait de marquer le dernier terme de l’aventure mexicaine. Pourquoi faut-il qu’une erreur politique ait abouti à une conséquence si cruelle ? Pourquoi cette explosion de tragédie shakspearienne est-elle venue se mêler aux idées, aux habitudes, aux mœurs de notre siècle, au fond toutes rationalistes et positives ? Qui aurait cru qu’à notre époque d’invisibles sorcières pourraient encore entraîner aux abîmes sous l’apparence d’une séduction chevaleresque un Macbeth honnête en lui disant : Tu seras roi ? Il est des momens où nous tous qui avons blâmé dans ses diverses phases l’expédition du Mexique, nous sommes forcés de nous reprocher cependant de n’avoir point donné nos avertissemens avec assez d’opportunité et d’énergie. L’imprévoyance a été, depuis ses obscurs commencemens jusqu’à sa fin tragique, la fatalité de cette affaire. Il eût fallu prévoir, quand il fut décidé que l’armée française quitterait le Mexique, qu’il n’était pas permis de livrer Maximilien aux accès d’un désespoir généreux. Il fallait le sauver malgré lui-même. Nous n’avions pas le droit de croire que, nous partis, il pourrait conserver l’empire. Nous n’avions pas le droit, en nous retirant du Mexique, d’y tout laisser dans la confusion et la violence. Le devoir de protéger l’existence des nombreux nationaux qui restaient derrière nous nous donnait le droit d’exiger de Maximilien l’abdication qui l’eût sauvé. Nous ne devions point sortir du Mexique sans y laisser un gouvernement vraiment autonome avec lequel nous aurions traité : un arrangement semblable eût été pénible sans doute pour l’amour-propre de ceux qui avaient entrepris l’expédition ; mais qu’est-ce qu’une blessure d’amour-propre quand il s’agit de réparer une faute, de protéger et de sauver des existences précieuses, d’assurer des intérêts d’humanité qu’on a compromis ? Nous nous étions figuré, quand la résolution de l’évacuation fut arrêtée, que ces précautions élémentaires seraient prises, que le gouvernement français ne pourrait croire à la fiction d’un empire de Maximilien privé de la protection militaire de la France, que le sort de nos compatriotes établis au Mexique et de nos alliés indigènes serait réglé avec un gouvernement mexicain vraiment régulier. Quand nous avons vu nos troupes quitter le Mexique sans qu’aucune de ces mesures de prévoyance eût été prise, notre étonnement a été profond. Nous n’avions pas songé qu’il fût nécessaire de pousser auprès d’un gouvernement jusqu’à des détails aussi élémentaires les avertissemens et les conseils de la prudence. La fin tragique de Maximilien et de ses amis fidèles, le sort incertain de nos compatriotes demeurés au Mexique, nous apportent, un désillusionnement mêlé de remords.

Sous le coup d’une émotion si violente, la tâche de critique que M. Thiers avait embrassée devenait des plus difficiles. Il l’a pourtant