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consolation de faire auparavant fusiller au moins trente personnes. — Sur ce propos, le comte Vitalien a déclaré à son père que, chaque fois que le général Zichy serait invité à l’hôtel Borromée, il en sortirait avec sa femme. Toute cette scène se passait chez le plus considérable des nobles milanais, que l’empereur d’Autriche a caressé plus que nul autre, chevalier de la Toison d’or, commissaire pour la remise de la reine de Hongrie ; son fils, le comte Vitalien, a le titre de chambellan de l’empereur. À ces sentimens se joint-il quelque projet positif ? C’est ce que je ne puis savoir ; autre chose est l’opinion publique qui prête force aux conspirations, autre chose les conspirations elles-mêmes ; beaucoup de gens abhorrent les Autrichiens et redoutent les convulsions et les calamités des révolutions et de la guerre. Ceux-là mêmes placent toute leur espérance dans les Français ; c’est de nous qu’ils attendent, qu’ils implorent leur délivrance et leur salut. »

Un tel état des esprits dans l’Italie du nord rendait la situation de l’ambassadeur de France à Turin singulièrement difficile : il représentait une politique à la fois libérale et anti-révolutionnaire, une politique de progrès patient et d’ordre progressif, d’indépendance nationale et de paix européenne. Le gouvernement de 1830 avait eu le courage d’arborer hautement ce drapeau étranger aux passions populaires, aux ambitions ardentes, aux partis extrêmes, et il l’avait arboré à l’extérieur comme à l’intérieur, dans ses relations diplomatiques avec les gouvernemens étrangers comme dans son langage public aux peuples eux-mêmes. Il s’était ainsi enlevé deux moyens d’action fort usités et puissans dans le cours ordinaire des affaires humaines, la flatterie et la charlatanerie, l’indécision et la duplicité ; il s’était condamné à espérer beaucoup du bon sens, du sens moral et de l’intérêt bien entendu des hommes. M. de Barante était chargé d’exprimer et de pratiquer cette politique en présence des partis et des desseins les plus contraires, auprès de la cour de Turin et des patriotes italiens, des conservateurs et des libéraux. Il avait à ménager les alarmes des uns et la sympathie des autres, à inquiéter ou à rassurer, à contenir ou à satisfaire tour à tour les uns et les autres en leur faisant loyalement connaître ce qu’ils avaient à redouter ou à espérer du gouvernement français dans les diverses situations qui pouvaient se présenter.

Il s’acquitta avec une franchise intelligente de ce devoir compliqué, il informa soigneusement son gouvernement des dispositions des divers partis piémontais et les divers partis piémontais des intentions du gouvernement français. Il écrivait le 10 février 1831 au général Sébastiani : « Vous m’avez souvent entretenu de l’action de l’Autriche sur ce pays-ci et de la possibilité d’une intervention