Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 70.djvu/482

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’esquisse sur la vraie liberté, sur le bonheur, sur l’immortalité de l’âme, sur l’amour de Dieu est à peu de chose près toute semblable à la conclusion de l’Éthique, et on peut dire que sur ces derniers points la pensée de Spinoza n’a subi aucune importante modification.

Pour résumer cette comparaison, on peut, je crois, affirmer que lors de la composition de ce traité, d’où est sortie plus tard l’Éthique, Spinoza était en pleine possession d’une part de ses principes, de l’autre de ses conclusions. D’un côté Dieu, substance unique et cause immanente de. toutes choses, — de l’autre la vraie béatitude consistant dans la connaissance et dans l’amour de Dieu et dans l’affranchissement du joug des passions par le discernement exact de leurs causes, tels sont les deux termes, les deux pôles de la philosophie de Spinoza. Jusqu’ici, tout est parfaitement arrêté dans la pensée de l’auteur ; mais ce qui reste encore quelque peu indécis, soit pour les idées elles-mêmes, soit pour l’ordre des idées, ce sont les intermédiaires, c’est-à-dire toute la théorie de l’esprit humain. C’est là qu’il faudrait chercher, dans une étude plus particulière et plus précise, le mouvement et le progrès de la pensée.

Nous ne voulons pas quitter cette étude sans mentionner un chapitre nouveau, — curieux au moins par le titre, — dont on connaissait l’existence par le témoignage de Mylius[1], mais que l’on n’avait pu retrouver jusqu’ici. C’est le chapitre de Diabolis. Spinoza a jugé à propos de le sacrifier dans son Éthique, et vraiment le sacrifice n’était pas très considérable, car avec la connaissance des principes de l’Éthique rien n’était plus facile que de le restituer à peu près tel qu’il est en réalité. Quoi qu’il en soit, on sera bien aise de savoir en propres termes quelle était l’opinion de Spinoza sur le diable. « Le diable, dit-il, d’après l’idée qu’on s’en fait en général, est une chose pensante (un esprit) qui ne veut et ne fait aucun bien et qui est en révolte absolue contre Dieu. C’est là une idée qui implique contradiction. La réalité d’une chose en effet étant en raison de sa perfection, comment un tel être pourrait-il exister et exister éternellement, ne possédant aucun degré de perfection ? D’ailleurs la durée et la stabilité d’une chose pensante dépendent de son union avec Dieu ; mais le diable est, par définition, séparé de Dieu : donc il ne peut exister. Enfin quel besoin aurions-nous de supposer des démons après avoir expliqué, comme nous l’avons fait, les causes de toutes les passions ? » Ainsi le diable, suivant Spinoza, est inutile et impossible, c’est une chimère de la superstition. Il aurait pu ajouter que, selon toute apparence, le dogme du diable n’est autre chose qu’un vestige affaibli et atténué du vieux dualisme oriental ; mais

  1. Mylius dans sa Bibliothèque des Anonymes avait mentionné l’existence d’une première rédaction de l’Éthique.