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d’impression que les autres. Cette réponse naïve donne une idée de l’intimidation qui régnait à Rome comme elle a régné naguère en Angleterre, elle explique l’indifférence avec laquelle ces crimes commandés par certains chefs des unions étaient considérés à Sheffield, même par des gens désintéressés et dans une assez bonne position sociale. De telles habitudes morales rappellent les temps les plus néfastes de l’Italie du XVe siècle ; rapprochées de ces scènes de brigandage commises dans Londres même par des hordes de voleurs et de pillards qui, sous prétexte d’escorter des régimens de volontaires, dévalisaient en plein jour ceux qui se trouvaient sur leur passage, elles sont bien faites pour inculquer de la modestie aux nations les plus fières de leur puissance.

Lorsqu’il sera connu dans son entier, le résultat de l’enquête relative aux crimes commis à Sheffield formera le pendant le plus curieux à ces célèbres Grands Jours d’Auvergne, si bien décrits par Fléchier, et où l’on voit la noblesse et le clergé jouer dans les provinces un rôle assez analogue à celui de Broadhead et de ses complices. Ce n’est pas à dire que les mêmes crimes se reproduisent partout où les unions exercent leur action ; elles n’ont pas besoin de recourir à ces extrémités. Lorsqu’on leur résiste, lorsqu’un ouvrier travaille dans les ateliers frappés d’interdit, des gens choisis ad hoc se présentent chez les réfractaires qui nuisent à l’efficacité des grèves et les somment avec menace de cesser leurs travaux. La plus commune de ces mystérieuses menaces, c’est d’être marqué par la société, et sans autre explication ceux qui ont entendu parler de Sheffield savent ce qu’au besoin cela pourrait signifier. La grève actuelle des tailleurs dans Londres a montré l’efficacité de ces simples paroles. Si les travaux de la commission d’enquête avaient été connus de M. Lowe lorsqu’il fit l’année dernière au parlement un discours qui lui attira tant d’injures de la part des meneurs des associations ouvrières, il aurait peut-être réussi à mieux faire comprendre au parlement dans quel inconnu on allait se précipiter. M. Lowe a toujours été du parti des réformes, mais il s’est constamment opposé au courant qui tendait à conférer l’ascendant à la démocratie avant qu’elle ne fût convenablement préparée à en user ; c’est dans cette vue qu’il n’a cessé de demander une augmentation dans la somme allouée par le parlement pour l’éducation populaire. Malheureusement ses efforts sont restés infructueux. L’Amérique est depuis longtemps le seul pays où cette question capitale de la démocratie ait été résolue. Il est à craindre que l’Angleterre ne paie bien chèrement cette économie-là.

Au reste, les Anglais ont pris le bon moyen pour mettre fin aux atrocités commises à Sheffield et ailleurs. Il suffisait de les mettre