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Si cette première punition, qui vous plonge dans l’isolement et fait qu’on vous fuit comme un pestiféré, ne conduit pas l’individu ainsi traité à faire amende honorable, il y a un second degré de pression, le rattening, qui manque rarement de produire son effet. Voici le procédé : par ruse ou à force ouverte et même à l’aide d’effraction, on s’empare des outils de l’ouvrier à l’index, et en l’empêchant par là de travailler on l’oblige, sous peine de mourir de faim avec sa famille, à se soumettre aux ordres de l’union, et même à payer en outre une assez forte amende, sans quoi les instrumens de son travail ne lui sont pas rendus. Quand à la commission d’enquête on a demandé à des ouvriers qui avaient été victimes du rattening comment ils avaient pu se soumettre à une telle tyrannie, au lieu de se faire rendre justice par les tribunaux, ils ont répondu que tout appel à la justice était défendu par le règlement, et qu’en s’adressant au juge ils auraient craint d’être estropiés (maimed) par les exécuteurs des vengeances des unions dans une de ces ignobles querelles de rue que ceux-ci savent si bien provoquer, et sur lesquelles la loi anglaise se montre en général si peu sévère. La crainte de ces vengeances, dont la source reste ensevelie dans un profond secret, est si vive qu’elle paralyse la marche de l’enquête en entraînant les témoins dans des palinodies et parfois dans des mensonges évidens. Il est de ces pauvres diables à qui on ne peut faire desserrer les dents qu’en les menaçant des peines (très sévères en Angleterre) contre les parjures. Quelques-uns des individus appelés à comparaître ont déclaré qu’ils ne parleraient que si le gouvernement s’engageait à les faire transporter immédiatement après leur déposition dans une colonie qui fût à l’abri des vengeances des unions.

Outre Coventry et le rattening, dans certaines localités, à Sheffield principalement, les associations ouvrières ont recours aux moyens les plus criminels, les plus abominables, pour faire plier ceux qui leur résistent et pour témoigner leur aversion à ceux qui les gênent.

Tout le monde a entendu parler des crimes ténébreux de Sheffield que la voix publique attribua dès l’abord aux unions, mais dont il fut impossible de découvrir les auteurs malgré les récompenses promises par le gouvernement. Les sociétés repoussèrent avec indignation ces premiers soupçons, et, pour montrer combien elles-mêmes désiraient que les coupables fussent découverts, elles promirent de leur côté une grosse récompense à quiconque les ferait connaître. Cette promesse ne produisit d’autre résultat que d’endormir dans leur sécurité les partisans des unions. Toutefois c’est en vue d’éclaircir ces mystères qu’a été instituée la commission des trades’ unions de Sheffield. Elle n’a pas siégé longtemps sans