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employer, même à l’égard d’une puissance aussi faible que l’était la cour de Rome. Il avait donc pris le soin d’indiquer lui-même à son frère comment il lui fallait procéder. « Ces régimens (deux régimens, l’un de cavalerie, l’autre d’infanterie, distraits de l’armée napolitaine), ces régimens marcheront comme pour retourner en Étrurie, et à la hauteur de Civita-Vecchia ils entreront dans la place et en prendront possession pour intercepter toute communication avec la mer. Le général qui commandera ces régimens s’adressera au vice-roi (le prince Eugène), qui lui expédiera des instructions… Il ne faut aucune proclamation en entrant à Civita-Vecchia ; tout doit être de fait[1]. »

Ce fut, comme Napoléon l’avait voulu, par l’acte brutal de la prise de possession que le saint-père et son ministre apprirent en effet les nouvelles exigences de l’empereur à l’égard de Civita-Vecchia. On peut juger de l’émotion produite sur eux par cette invasion à main armée d’un ville située à si peu de distance de la capitale des états romains. Consalvi se hâta de protester par une note adressée le 11 juin à la légation française à Rome[2]. Par ordre du pape, il adressait en même temps une circulaire aux nonces accrédités près des cours étrangères. Cette circulaire avait surtout pour but de bien établir que l’occupation de Civita-Vecchia, comme celle d’Ancône, de Fano, de Sinigaglia, de Pesaro et autres lieux, avait eu lieu à force ouverte et contre le gré du gouvernement pontifical[3]. C’était la constante préoccupation du pape de ne pas laisser un instant supposer qu’il avait tacitement consenti à la violence qui lui était faite et renoncé par conséquent, en réalité sinon en droit, à sa neutralité, préoccupation d’autant plus naturelle de sa part que la modération dont il avait fait preuve et sa patiente douceur envers l’empereur des Français avaient injustement accrédité en plus d’un lieu l’opinion qu’au fond il était d’accord avec son prétendu oppresseur, et que sa résistance apparente était un jeu joué et convenu d’avance entre eux.

Une dernière surprise plus pénible encore attendait Pie VII et Consalvi. Elle leur fut donnée par la lecture d’un décret inséré au Moniteur et qui annonçait que l’empereur avait disposé des districts de Bénévent et de Ponte-Corvo en faveur de M. de Talleyrand et du maréchal Bernadotte. Une autre mesure avait précédé ces témoignages de la colère impériale. Le cardinal Fesch avait été brusquement rappelé de Rome, et un laïque, M. Alquier, ancien

  1. Lettre de l’empereur au roi de Naples, le 6 mai 1806. — Tome XII, p. 354 de la Correspondance de Napoléon Ier.
  2. Note du cardinal Consalvi à M. Alquier, 11 juin 1806.
  3. Note remise par les nonces du pape près les différentes cours, même date.