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pas être, comme l’éloquence du barreau ou de la tribune un plaidoyer en faveur d’une cause, une démonstration apportée à l’appui d’une opinion ou d’une résolution préconçue ; il n’a nullement songé à exclure de l’histoire les jugemens définitifs ou les idées générales qui découlent légitimement des faits historiques et en sont le résumé naturel : que les faits soient la base et la matière de l’histoire, que l’exactitude matérielle et la vérité morale du récit, le dessin correct et la couleur vivante du tableau doivent être le but et la loi suprême de l’historien, ce sont là des axiomes évidens que M. de Barante acceptait autant que personne ; mais il avait observé et constaté l’esprit de son temps : « Nous sommes, dit-il, dans une époque de doute, les opinions absolues ont été ébranlées ; ce ne sont plus des systèmes et des jugemens qu’on attend de celui qui veut écrire l’histoire ; on est las de la voir, comme un sophiste docile et gagé, se prêter à toutes les preuves que chacun prétend en tirer. Ce qu’on veut d’elle, ce sont des faits ; on exige qu’ils soient évoqués et ramenés vivans sous nos yeux ; chacun en tirera ensuite tel jugement qu’il lui plaira, ou même ne songera point à en faire résulter aucune opinion précise, car il n’y a rien de si impartial que l’imagination ; elle n’a nul besoin de conclure, il lui suffit qu’un tableau de la vérité soit venu se retracer devant elle. « Mais comme s’il craignait qu’on n’abusât de ces dernières paroles, et pour bien expliquer le sens qu’il y attache, il se hâte d’ajouter : « L’histoire ainsi racontée, lorsque les faits sont présentés avec clarté et disposés dans un ordre convenable, lorsque l’écrivain a soin de faire ressortir ceux qui donnent le mieux la connaissance du temps, doit suggérer au lecteur les réflexions et les jugemens que l’auteur n’a pas voulu exprimer. J’espère donc, sans l’avoir traitée explicitement, ne pas être demeuré inutile à cette vaste question qui occupe et absorbe tous les esprits et qui se plaide sur toute la surface du monde civilisé par la parole ou par les armes, à cette question qui embrasse aujourd’hui la politique, la morale, la religion et jusqu’à l’intelligence humaine, à la question du pouvoir et de la liberté, ou, pour mieux parler, de la force et de la justice. Si donc les récits qui vont passer sous les yeux du lecteur lui font sentir combien plus de lumières, plus de raison, plus de sympathie et d’égalité entre les hommes, ont perfectionné, non pas seulement les arts et le bien-être de la vie, mais l’ordre des sociétés, la morale des individus, le sentiment du devoir, l’intelligence de la religion, s’il reste convaincu qu’à travers tant de vicissitudes et de calamités les peuples civilisés peuvent se comparer avec un juste orgueil à leurs devanciers courbés sous des jougs pesans et retenus par tant de liens, je ne croirai pas avoir accompli une tâche inutile. Étudiés isolément, les exemples de l’histoire