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l’empereur ne se jette-t-il pas aussitôt dans la voie qui lui est imprudemment ouverte !


« Faites connaître à la cour de Rome, écrit-il à M. de Talleyrand dans un projet de note que son ministre des relations extérieures a considérablement atténué en le transmettant au cardinal Caprara, faites-lui connaître que je n’ai pu voir qu’avec une extrême surprise la note du cardinal Consalvi en date du 26 avril, par laquelle ce cardinal prétend soumettre la couronne de Naples aux soi-disant droits du saint-siège….. Sa majesté ne cherche pas dans l’histoire à connaître s’il est vrai que dans des temps d’ignorance la cour de Rome ait usurpé le droit de donner des couronnes et des droits temporels aux princes de la terre ; mais si l’on trouvait que dans d’autres siècles la cour de Rome a détrôné des souverains, a prêché des croisades, interdit des royaumes entiers, on rencontrerait aussi que les papes ont toujours considéré leur temporel comme ressortissant des empereurs français, et la cour de Rome ne prétend pas sans doute que Charlemagne ait reçu d’elle l’investiture de son royaume…


M. de Talleyrand était en même temps chargé de demander péremptoirement la reconnaissance pure et simple du royaume de Naples. A défaut de cette reconnaissance, sa majesté ne reconnaîtra plus le pape comme prince temporel…


« Que veut la secrétairerie d’état de Rome ? quel esprit de vertige s’est donc emparé d’elle ? et quelle conduite que celle que des hommes profondément méchans et ineptes lui font tenir depuis longtemps ! Il faut le dire, le saint-siège est las du pouvoir temporel… Si cela continue, ajoute l’empereur dans une sorte de post-scriptum, je ferai enlever Consalvi de Rome, et le rendrai responsable de ce qu’il veut faire, parce qu’il est évidemment acheté par les Anglais. Il verra si j’ai la force de soutenir ma couronne impériale, — appuyez sur ce mot impériale et non royale, et sur ce que les relations du pape avec moi doivent être celles de ses prédécesseurs avec les empereurs d’Occident[1]… »


Il n’était pas dans les habitudes de Napoléon de menacer sans frapper, il était bien plutôt dans ses habitudes de frapper avant d’avoir menacé. C’est pourquoi, pour plus de sûreté, il avait dès le 6 mai donné ordre à son frère, le nouveau roi de Naples, de faire occuper Civita-Vecchia. Dans toutes les opérations militaires, Napoléon faisait un grand cas de la promptitude et du secret. Quand il avait recours à la force, un peu de ruse ne lui répugnait pas à

  1. Note à présenter au cardinal Caprara, 16 mai 1806, insérée dans la Correspondance de Napoléon Ier, t. XII, p. 374.