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peuples sont inséparablement unis au bien de la religion et à la dignité de son chef. Ce même esprit conduira votre majesté à alléger nos peines et à nous rendre un peu de la tranquillité que nous avons perdue. Enfin nous voulons croire qu’elle n’oubliera pas tout à fait qu’à ce moment où nous nous trouvons à Rome en proie à tant et de si affreux chagrins, une année ne s’est pas encore écoulée depuis que nous avons quitté Paris.

« Nous lui donnons de tout notre cœur notre bénédiction paternelle[1]. »


Nos lecteurs, après avoir vu passer ainsi sous leurs yeux les communications personnelles directement échangées entre l’empereur et le pape au début du grave dissentiment qui depuis lors n’a fait que s’aigrir, et devait amener plus tard une rupture définitive, peuvent maintenant se rendre un compte exact des dispositions qu’y apportait chacun d’eux. Ce qu’ils auront peine à s’imaginer, c’est que la lettre de Pie VII, dont nous avons reproduit les plus importans fragmens, excita non-seulement la colère de l’empereur, mais son indignation la plus vive. Cette indignation était-elle bien réelle ou ne fut-elle que simulée ? Cela serait difficile à dire ; peut-être n’est-il pas interdit de supposer que, redevenu de sang-froid et se jugeant plus tard lui-même avec un esprit supérieur à sa passion, Napoléon aura vite compris qu’il était tant soit peu sorti de son rôle en soulevant imprudemment ces grandes thèses historiques et dogmatiques, et que, dans la controverse qui s’en était suivie, l’avantage n’était pas toujours resté de son côté. Ce qui rendrait notre hypothèse assez probable, c’est le parti qu’il prit incontinent de cesser complètement la correspondance qu’il avait lui-même entamée sans doute avec l’espoir d’amener ainsi plus facilement le pape à ses fins. M. de Talleyrand, chargé d’expliquer dans ses dépêches officielles le silence que l’empereur entend garder désormais, en donne un motif singulier, qui semble dénué de fondement, et uniquement destiné à blesser profondément le saint père. Par une susceptibilité inattendue, qui ne prouve, à notre sens, que son embarras et l’ennui que lui a causé la publicité donnée à ses lettres si peu mesurées, Napoléon n’hésite pas à traiter d’abus de confiance la communication qui en a été faite aux membres du sacré-collège ; il y voit même « un calcul profond, une nouvelle et noire perfidie du cardinal Consalvi. »

« La modération de l’empereur, écrit M. de Talleyrand, peu de jours après la réception de la réponse du saint-père, n’a fait qu’enhardir les agens de l’influence étrangère, qui n’ont pas craint de conseiller et de persuader au saint-père de donner communication

  1. Lettre du pape Pie VII à l’empereur Napoléon, 21 mars 1806.