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des lieux ; les boues liquides du lac Menzalèh, arrêtées par les berges encaissant le canal dans toute sa longueur, ne menaçaient plus de le combler ; les sables mouvans des seuils, que le moindre obstacle arrête, s’accumulaient naturellement sans la franchir sur la ligne des énormes déblais bordant les deux côtés de la tranchée. A. Port-Saïd, des ouvrages solides, déjà éprouvés par les mauvais temps, se fondaient progressivement dans la mer.

Sur ces entrefaites, le 18 janvier 1863, Saïd-Pacha mourut inopinément. Le même jour, Ismaïl-Pacha, petit-fils de Méhémet-Ali, fut proclamé au Caire vice-roi d’Égypte. Au moment où les travaux du canal entraient à peine dans la période active et lorsqu’en l’absence du firman définitif de la Porte la situation réelle de la compagnie restait encore à régulariser, cet événement était de nature à éveiller de légitimes inquiétudes : les chefs de l’entreprise durent dès lors pressentir une crise qui ne tarda pas à éclater. Le 6 avril 1863, une note fut adressée de Constantinople au représentant de la Sublime-Porte à Paris et parut dans tous les journaux. Il y était dit que, malgré l’abolition de la corvée dans tout l’empire, y compris l’Égypte, les travaux du canal maritime s’effectuaient encore au moyen de ce régime, en second lieu que, par la concession à la compagnie des rives des deux canaux, cette compagnie pouvait revendiquer en toute propriété une étendue de terrain comprenant toute la frontière de Syrie, les villes de Timsah, Suez, Port-Saïd, que cet état de choses avait les plus graves inconvéniens. En conséquence la Sublime-Porte subordonnait son consentement à la solution préalable des trois points suivans, savoir : la stipulation de la neutralité du canal, l’abolition du travail forcé et l’abandon par la compagnie de la clause relative à la propriété, du canal d’eau douce et à la concession des terrains qui bordent les deux canaux.

Cette note imprévue causa une émotion qui se traduisit par une baisse énorme sur les actions du canal maritime. Peu de temps après, Nubar-Pacha, délégué du vice-roi d’Égypte, arrivait en France, et publiait une consultation de trois avocats éminens de Paris sur les droits de la compagnie ; celle-ci y répondait par une action judiciaire contre Nubar-Pacha. Des intérêts aussi graves que ceux qui étaient menacés devaient attirer l’attention du gouvernement et provoquer la haute intervention dont le secours était déjà venu quatre ans auparavant tirer la compagnie d’un premier danger. Le 1er mars 1864, les actionnaires, réunis en assemblée extraordinaire, furent informés de la résolution prise par le vice-roi d’Égypte de s’en rapporter à l’arbitrage de l’empereur des Français pour le règlement amiable de toutes les questions en litige.