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Nous descendîmes les 7 ou 8 mètres qui nous séparaient du niveau de cette eau et prîmes place dans une petite embarcation. La tranchée, coupée dans les dernières pentes du seuil, ouvrage des contingens fellahs, fit place bientôt aux dunes de sable ; au bout d’une heure, nous débouchions dans le lac Timsah, une belle nappe d’eau circulaire d’une lieue de diamètre. De l’autre côté des lacs, dans la direction du nord-est, des fumées indiquaient l’entrée du canal maritime venant de Port-Saïd. Plus à gauche, les maisons de la petite ville d’Ismaïlia s’élevaient au-dessus du contour arrondi des dunes. Ce nom d’Ismaïlia a remplacé depuis l’avènement d’Ismaïl-Pacha celui de Timsah, que portait le premier campement. J’avais eu en 1862 l’occasion de visiter ces mêmes lieux ; à cette époque, Ismaïlia n’offrait encore que l’aspect d’un campement sans importance. L’eau douce y arrivait depuis un an par la branche du canal venant du Nil. Quant au lac, une vaste dépression déserte, garnie dans ses bas-fonds de bouquets de tamaris, en dessinait l’emplacement. L’année suivante, une première rigole maritime de 8 mètres, creusée jusqu’à la sortie du seuil d’El-Guisr, amena les eaux de la Méditerranée dans le lac ; le courant toutefois était trop peu puissant pour qu’on songeât alors à le remplir. L’opération fut en effet suspendue ; elle a été reprise le 12 décembre dernier : cette fois un déversoir de 20 mètres de large, ménagé au débouché du seuil d’El-Guisr, amenait dans le lac un puissant courant d’eau. Le niveau s’est rapidement élevé, et à l’heure qu’il est, le lac Timsah doit être en libre communication avec la Méditerranée.

Nous débarquâmes au pied des dunes d’Ismaïlia ; à quelques pas de là, nous franchissions sur un pont-levis le canal d’eau douce, couvert en ce point d’embarcations de toute sorte, de vapeurs, de chalands, de transports. Le canal, suivant les bords du lac, s’abaisse successivement à deux écluses et va déboucher dans le chenal maritime à la naissance du seuil d’El-Guisr. C’est ainsi que Suez est depuis trois ans relié à la Méditerranée par une voie navigable, et c’est par cette voie que l’immense matériel monté à Port-Saïd a pu s’acheminer sur les différens chantiers et jusque dans la Mer-Rouge. La compagnie a songé récemment à entreprendre un service régulier de transports commerciaux ; elle a disposé à cet effet un matériel considérable capable de faire un transit journalier de 2,000 tonnes entre les deux points extrêmes. Les chalands sont prêts, une chaîne en fer vient d’être mouillée récemment sur le fond du canal d’eau douce d’Ismaïlia à Suez, des toueurs[1] à

  1. Le toueur se distingue du remorqueur en ce que le navire, au lieu d’agir sur l’eau au moyen de roues, ou d’une hélice, avance à l’aide d’une chaîne mouillée au fond du canal sur tout le parcours et qui s’engage sur un engrenage mis en mouvement par la machine du navire.