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au sommet du seuil, et aujourd’hui les dragues y envoient décharger les chalands chargés des déblais. Un mois a suffi pour y jeter les 2 millions de mètres cubes d’eau nécessaires. Le problème de l’imperméabilité des terres, qui ne faisait d’ailleurs l’objet d’aucun doute pour les ingénieurs, a reçu de cette façon la sanction de l’expérience.

Du haut de notre plate-forme, nous avions sous les yeux les 6 kilomètres de canal immergé. Échelonnées de distance en distance, sept dragues y travaillaient avec activité. Des porteurs, des chalands à vapeur naviguant entre elles et les lacs voisins, ajoutaient à l’animation de la scène. A deux pieds de nous, les godets de la drague sur laquelle nous étions montés passaient l’un après l’autre, amenant au sommet de leur course une énorme charge d’argile et de sable mélangé d’eau. Chacune de ces machines produit en moyenne 1,200 mètres cubes de déblais par journée de douze heures ; des primes élevées sont accordées par la compagnie à celles qui donnent le meilleur rendement pour être distribuées à l’équipage, conducteurs et mécaniciens. L’une des dragues atteignit récemment le chiffre de 1,700 mètres cubes ; l’on espère, à mesure que les hommes acquerront la pratique de ces engins nouvellement en fonction, arriver dans peu de mois à des résultats encore meilleurs. Le plateau du Sérapéum a été subdivisé en deux bassins ; le principal, celui où nous nous trouvions, de 6 kilomètres, est suivi du côté des lacs amers d’un second bassin de 2 kilomètres que l’eau douce remplit en ce moment à son tour. Au-delà, le seuil s’abaisse insensiblement ; on a reporté sur ce point les terrassiers qui préparent à sec la suite de la tranchée jusqu’à son débouché dans le grand lac. Les ingénieurs du chantier croient que dans un an les dragues auront amené la profondeur du seuil à 2 mètres au-dessus du niveau de la mer. Il se passera alors ce que nous avons décrit en parlant de Chalouf : le canal sera ouvert aux eaux de la Méditerranée, actuellement contiguës à l’extrémité nord du seuil, l’eau y descendra, y reprendra son niveau, et les dragues, descendues avec elles, se remettront à l’œuvre pour donner au canal sa profondeur définitive.

L’embarcation qui nous conduisait atteignit l’extrémité nord du seuil. Nous sautâmes à terre, nous fîmes une dizaine de pas sur le sable, et aussitôt à nos pieds apparut, en contre-bas du bassin que nous quittions, un large canal encaissé entre les dunes, et dont les eaux, à quelques centaines de mètres plus loin, disparaissaient derrière un coude du tracé. C’était la route qui allait nous mener au lac Timsah ; nous saluâmes, non sans émotion, ce flot extrême de la Méditerranée, amené jusqu’à ce point à travers 90 kilomètres de désert.