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où la fille de Pharaon trouva le berceau flottant de Moïse. Le spectacle du désert, malgré la désolation qui lui est propre, grâce à cette désolation peut-être, ne laisse pas que de frapper vivement le voyageur. On croirait à peine à la variété d’aspect que présentent ces dunes de sable, ces longues plaines que le soleil, pendant le jour, inonde d’une lumière implacable. Dès qu’il s’abaisse sur l’horizon, les ombres s’allongent, les reliefs se dessinent, et la lumière décomposée produit dans les lointains les plus riches effets de couleur, où les tons rosés contrastent avec le bleu pâle des derniers plans.

Le canal, par des courbes insensibles, côtoyait les dernières pentes des monts Attaka, que nous laissions derrière nous. A notre droite, au milieu des lagunes formant le fond de la vallée, la ligne des premiers déblais enlevés sur quelques points par les anciens contingens fellahs indiquait le tracé du canal maritime. Au bout de 8 kilomètres, la dahabieh s’arrêta devant un ensemble de constructions bordant le canal ; nous nous trouvions à l’un des campemens. Quatre dragues y flottaient dans un bassin pratiqué sur le côté du canal. Arrivées toutes montées, comme celles de Suez, ces machines sont destinées à creuser le chenal maritime dans les terres basses ; Elles se trouvaient, par le fait de l’élévation des eaux du canal d’eau douce, de 5 à 6 mètres au-dessus du niveau de la plaine ; il fallait les descendre à ce niveau et les conduire ensuite à 1 kilomètre de là, sur la ligne des travaux. Ce problème a été résolu d’une façon ingénieuse. Un second bassin contigu au premier est creusé à la profondeur de 2 mètres au-dessous de la plaine. Les dragues creusent le premier bassin et l’amènent à la profondeur du second. Dès lors, si l’on ferme la communication du canal avec le premier bassin, celui-ci devient en quelque sorte le sas[1] d’une écluse ; en coupant et fermant alternativement les deux digues, on peut donc faire passer dans le bassin au niveau de la plaine toutes les machines flottantes amenées par le canal d’eau douce. La première partie de l’opération est alors accomplie. Les dragues marchent ensuite en avant dans la direction du canal maritime, se creusent à elles-mêmes leur propre chenal, et arrivent enfin sur la ligne des travaux. Là deux d’entre elles se tournent à angle droit vers Suez, les deux autres vers le seuil de Chalouf, pour entreprendre de la même façon le creusement du canal maritime sur le parcours de 15 kilomètres qui sépare ces deux points. Les infiltrations de l’eau de la mer remplissent la tranchée où flottent les dragues, semblables à d’énormes insectes se. creusant une galerie de

  1. Intervalle qui sépare les deux portes de l’écluse et dans lequel se loge le bateau pendant l’opération.