poète du moka, des aimées et tous les biens de la terre à discrétion ; vous en serez récompensé dans ce monde et dans l’autre… Il
est des jours où je meurs d’envie de froisser entre mes doigts des
colliers de perles, des aigrettes de rubis, des rivières de diamans.
Ce frou-fou me ferait venir à l’esprit des idées que personne n’a
eues, que personne n’aura jamais. D’autres fois je rêve d’une tonne
d’or… Hélas ! mon tonneau est vide, c’est celui de Diogène… Parole d’honneur ! les hommes sont stupides. Otez à Pipelet ses écus
et donnez-les au poète, après quoi vous expliquerez à Pipele : que
vous l’expropriez pour cause d’utilité publique ; vous lui devez,
j’en conviens, cette explication. Moi, je voudrais que dans tous les
pays civilisés on inscrivît chaque année au budget une somme de
dix millions pour procurer des jouissances aux écrivains. Chacun
se ferait servir à son goût. Distribués avec intelligence, ces dix
millions feraient éclore des chefs-d’œuvre par centaines ; un grand
siècle s’ouvrirait pour la littérature… Mais quoi ! nous nous croyons
civilisés, et parmi tant de princes qui font profession de protéger
les arts, en est-il un seul auquel la fantaisie soit venue de faire
asseoir un poète sur son trône en lui disant : Mets-toi au large,
mon garçon, et règne à ma place pendant six mois, à la seule condition que tu nous conteras exactement tout ce que tu auras vu de
là-haut.
— Et si le poète prenait goût au trône et refusait d’en descendre ? objecta Didier.
— Ce serait trop d’honneur pour le trône, reprit Prosper. Et s’échauJTant en son harnais : — Race de bourgeois encroûtés, de tripoteurs de bourse, de moralistes de caserne, courtisans de la matière, contempteurs des choses de l’esprit, que vous importe que la société ait du génie sur la planche ?… Il faut, morbleu ! que cela change. Les temps sont mûrs ; nous referons le monde. Dans la société nouvelle, le génie sera l’enfant gâté du législateur. Bien logé, bien nourri, il aura tout sous la main ; pour fertiliser son cerveau, on le gorgera de plaisirs. Dès sa jeunesse, on l’environnera de belles choses, de beaux meubles, de belles étoffes, de beaux tableaux, de belles statues, de belles femmes… Des femmes surtout ! Il nous en faut beaucoup, et la brune et la blonde, et des beautés malaises, et des beautés tongouses, des écureuses de vaisselle, des bayadères et des houris. Le poète qui aurait expérimenté toutes les variétés de l’amour serait plus grand que Shakspeare, plus grand qu’Homère. Quelle richesse de palette ! quelle prodigieuse diversité de nuances ! Il aurait tous les tons, tous les styles ; les âpres et dévorans soleils de l’Afrique, les lunes mélancoliques du nord, l’infini des savanes, le silence des déserts, le mystère des