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peine fermé les yeux que Gildon levait le masque, et sous le faux prétexte de faire passer l’Afrique du domaine occidental au domaine oriental, suivant le désir d’Arcadius, il fit égorger les colons romains et se déclara ennemi de l’empire. En même temps qu’il secouait les nœuds de la romanité, comme on disait alors, il brisait aussi ceux de l’église, devenait persécuteur et païen, et s’abandonnait à tout ce qu’il y avait de dépravation et de cruauté dans les instincts sauvages de sa race. Par un contraste curieux, la douce fille de ce païen devenait à la cour des princes d’Orient une chrétienne fervente et une chaste épouse, et lorsque arriva la mort de Nébridius, qui vécut peu, l’héritière des Massinissa et des Jugurtha ne rêva pas de plus grand honneur que d’être diaconesse à Constantinople en faisant vœu de viduité perpétuelle. Ni Chrysostome ni Jérôme ne furent étrangers au succès de cette vocation, sur laquelle la chrétienté fixait tout entière les yeux. Jérôme lui envoya de sa grotte de Bethléem une éloquente exhortation, et Chrysostome composa pour elle un traité intitulé : À une jeune veuve, dans lequel il exalte à la fois la gloire de son alliance avec les maîtres de l’univers et l’avantage d’être appelée à un tranquille bonheur que ses augustes parens ne connaissaient guère. Salvina, diaconesse sans cesser d’être une très grande dame, devint la protectrice des églises orientales à la cour d’Arcadius. On s’adressait à elle de tous les coins de l’empire comme à une personne très puissante près de l’empereur et de l’impératrice : son attachement à Chrysostome changea tout cela.

Empructa et Pentadia occupaient, dans un rang inférieur à celui de Salvina, une place honorée parmi les matrones. La vie de Pentadia avait été pleine d’agitations et d’angoisses. Femme du consul Timasius, une des plus nobles victimes de l’eunuque Eutrope, qui le fit reléguer dans l’oasis d’Égypte sous une fausse accusation de lèse-majesté, elle avait été englobée dans le désastre de son mari, condamnée elle-même à la relégation, et obligée de se cacher pour échapper au plus affreux sort. Cette prison de l’oasis d’Égypte avait pour murs et pour garde une zone de sables brûlans infranchissable. L’exilé essaya pourtant de la franchir avec l’aide d’une caravane de marchands arabes, et, soit qu’il fût tombé dans une embûche dressée par l’eunuque, soit qu’il restât englouti sous cette mer aérienne que les vents du désert soulèvent sur leur passage, il disparut sans qu’on pût jamais retrouver sa trace. Sa femme, que traquaient les espions d’Eutrope, après avoir fui de retraite en retraite, se voyant sur le point d’être découverte, se réfugia dans une des églises de Constantinople sous la protection du droit d’asile dont la loi avait doté les lieux de réunions chrétiennes ; mais l’eunuque fit forcer