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distance en distance, je voyais des cahutes qui avaient été bâties parmi ces débris ; je suivis une rue sans voir une maison. La première que je rencontrai était celle où je devais descendre, c’était la demeure du receveur de l’arrondissement ; il m’offrit un arrangement qui me convint, et un quart d’heure après mon arrivée tout était conclu. Sa maison devenait la mienne ; les chambres qu’il me donnait étaient peu et mal meublées, les murailles n’étaient pas même couvertes de papier ; le bureau de la sous-préfecture était à l’autre bout de la ville, ce qui n’était pas une grande distance. Quelques jours après mon installation, j’écrivis à mon père : « Je ne vous dirai point de mal de Bressuire ; j’en pense tous les jours plus de bien sans pourtant m’y attacher beaucoup ; jamais je n’ai vu un si bon peuple, simple, moral, religieux ; les habitans n’ont pas, comme la bourgeoisie de la plupart de nos petites villes de province, cet esprit de malveillance et d’envie. Les crimes sont rares ; sur six procès civils, cinq finissent par un accommodement ; les mœurs sont meilleures que nulle part ailleurs. La vie qu’on mène ici est d’une simplicité extrême ; les femmes sont beaucoup moins bien mises que les servantes de bonne maison ; elles font la cuisine et se lèvent pour servir à table. On ne sait rien de ce qui se passe dans le monde, on cause de la chasse, on plaisante sur les maladroits, on se moque doucement de M. le curé tout en le respectant ; après dîner, on chante de vieilles chansons en dansant en rond, entre hommes on raconte des histoires qui ont été léguées de génération en génération depuis Rabelais. Je ne saurai pas me mettre ainsi en joyeux train ; il faudra que je me contente d’un succès d’estime. »

Quel séjour et quelle société pour un homme jeune et spirituel qui venait de vivre dans le salon et l’intimité de Mme de Staël, d’assister aux séances du conseil d’état impérial et de suivre la grande armée à travers ses victoires ! Mais M. de Barante avait reçu une éducation sérieuse ; il avait le sentiment du devoir, le goût de l’étude, l’esprit d’observation, cette disposition laborieuse, sensée et douce qui sait sans effort prendre en patience les petites épreuves de la vie et mettre à profit ses plus modestes ressources. « Je crois, écrivait-il à son père, que je me tirerai bien de cette administration ; elle est facile. Il importe surtout, si on veut maintenir le calme et l’obéissance, de ne pas prendre de mesures de police ; elles ne seraient pas motivées. Les prêtres insoumis se tiennent parfaitement tranquilles et ne sont pour rien dans la désobéissance des conscrits ; on me dit même que, lorsqu’ils verront des fonctionnaires publics respectueux pour la religion, ils se soumettront et rentreront dans le clergé officiel. Il n’y a pas dans l’arrondissement une seule personne en surveillance ; les guerres de la Vendée n’y ont pas laissé