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malade. La solitude d’où il sortait ne l’avait guère habitué au ménagement des hommes, et toute concession en face du bien absolu lui paraissait un manquement au devoir et presque un crime. Fidèle à l’idéal de sainteté qu’il s’était imposé à lui-même, il l’exigeait imprudemment des autres, et portant dans l’exercice d’une autorité presque incontrôlée le défaut habituel des solitaires jetés par les événemens. dans le mouvement du monde, il était ombrageux, hautain, jaloux de son pouvoir, toujours prêt à l’accroître, impatient de toute opposition, et convaincu que les inimitiés qu’il soulevait s’adressaient non à lui, mais à Dieu même, qui lisait ses intentions dans le fond de son âme. Ses admirateurs étaient forcés de reconnaître qu’il était orgueilleux et opiniâtre, et pourtant ils le respectaient, tant il y avait de vertus sous cet orgueil : ils l’appelaient le saint, et ceci était vrai ; ses ennemis l’appelaient l’irascible, le superbe, le violent, et ceci était vrai encore. Ce vent de fortune prodigieuse qui avait jeté un simple prêtre de province sur le siége métropolitain de tout l’Orient, à côté du trône des césars, lui semblait l’effet non d’un caprice ou d’une faveur des hommes, mais d’une volonté expresse de Dieu, qui le destinait à tout changer. Imbu des lectures de l’Ancien Testament, dont il s’était infusé pour ainsi dire l’esprit âpre et inflexible, il se donna vis-à-vis des puissans de son temps le rôle d’un Nathan devant David, d’un Élie devant Jézabel, d’un Isaïe devant les prêtres de Baal ; mais les prêtres de Baal étaient nombreux, et ce furent eux qui commencèrent sa ruine. En lutte avec tout le monde à la fois, il ne réussit, chose triste à dire, que contre celui qui l’avait élevé.

La réforme de l’église de Constantinople n’était pas aisée d’ailleurs, et le contemporain que nous avons cité plus haut, Palladius d’Hellénopolis, qui nous a laissé sous forme de dialogue une vie de Jean Chrysostome écrite pour sa justification, nous initie au rude travail, dont il fut près de lui le spectateur. Dans l’énumération des vices du clergé qu’il fallait avant tout prendre corps à corps sous peine de manquer au premier devoir de l’évêque, Palladius en signale trois qui à eux seuls eussent amené la ruine de cette église, savoir : la luxure, la gourmandise et l’avarice, « vraie métropole des maux, » ajoute-t-il, attendu qu’elle les engendre et les nourrit.

C’était surtout dans le coupable abus des sœurs agapètes ou femmes sous-introduites que consistait ce vice de luxure reproché par Palladius au clergé byzantin. Cet usage assez récent, si nous en croyons Chrysostome lui-même, avait si bien prospéré, s’était si bien répandu partout à la manière de l’ivraie, qu’il infectait maintenant la chrétienté entière en Occident comme en Orient, et menaçait de passer à l’état d’institution dans l’église. Les docteurs