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viterait personne chez lui ; il s’abstint même d’accepter les invitations de l’empereur. Les uns virent dans cette sobriété monacale une critique indirecte de leurs pratiques, et le clergé surtout s’en formalisa ; les autres au contraire (qui l’eût pensé ?) y virent un signe d’intempérance. On prétendit qu’il s’enfermait le soir pour se livrer à des repas somptueux et sans fin, à des orgies de cyclope, comme disaient agréablement ses ennemis. Et pourtant qui eût pu forcer les abords de sa retraite l’aurait souvent trouvé à jeun à des heures avancées de la nuit, goûtant à peine un peu de légumes et de viandes qu’Olympias, sa diaconesse préférée, lui faisait préparer presque malgré lui. La calomnie n’en marchait pas moins son train, et ses amis eurent beaucoup de peine à le justifier de cette séquestration volontaire, qui eût été blâmable assurément dans un évêque, si des causes autres que son humeur misanthropique ne la lui avaient pas imposée.

Sitôt qu’un conte bien absurde, une méchanceté bien noire, avaient été apportés chez Eugraphie ou recueillis par elle au dehors, elle courait en divertir l’impératrice, et Arcadius sortait quelques instans de son hébétement pour rire ou s’irriter aux dépens du prêtre qui l’effrayait. Ces mensonges étaient également colportés dans la ville, où les ennemis de Chrysostome avaient sous la main une milice toujours prête : c’était un troupeau de moines mendians qui parcouraient Constantinople dans tous ses recoins, vêtus de costumes grotesques et coiffés de longues crinières pendantes à la manière des philosophes cyniques, auxquels ils ressemblaient beaucoup plus qu’à des cénobites chrétiens. Chrysostome, qui avait le respect et l’admiration de la vie monastique, et qui cherchait à la pratiquer encore dans son palais archiépiscopal, la voulait austère, laborieuse, et il détestait ces bateleurs qui, pour quelques oboles, amusaient la populace des carrefours en mêlant aux prières de l’église d’indignes bouffonneries. Il avait voulu supprimer dans sa ville métropolitaine ces couvens de moines errans, ou les obliger à la vie sédentaire et au travail des mains ; mais ils échappaient aux sévices de l’évêque, et l’abus continuait malgré ses efforts. Aussi ne le ménageaient-ils pas dans leurs facéties, Un de leurs supérieurs, nommé Isaac, s’était rendu redoutable aux évêques précédens par les satires dont il les poursuivait devant la populace. Il se fit une gloire cruelle de déchirer celui-ci, et, passant de l’ignoble scène des rues sur un plus grand théâtre, il se porta son accusateur implacable devant les conciles.

Tel était le camp où se tramait la déposition de Chrysostome, sa mort peut-être, et qui étendait ses intelligences dans la haute société de Constantinople et dans le clergé sous le patronage de