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un caractère tout à fait personnel quand il prêchait dans les églises de Constantinople contre le faste et le déréglement des dames de la cour. Dans les basiliques d’Orient, les sexes étaient séparés ; les hommes occupaient le plain-pied des nefs, la place des femmes était dans de hautes galeries qui dominaient à droite et à gauche les arcades des nefs ; c’est là qu’elles assistaient au saint sacrifice, ainsi qu’à la lecture des Écritures et aux collectes qui suivaient la messe. À l’extrémité de la nef, sur les marches du chœur, en avant des portes d’or et des voiles qui fermaient le sanctuaire, s’élevait une tribune construite d’ordinaire en marbres précieux et décorée de sculptures et de pierreries, dans laquelle on montait du chœur par deux escaliers attenant à ses deux faces latérales. Cette tribune se nommait l’ambon et se transforma au moyen âge en une galerie transversale servant de clôture au chœur, et qu’on appela le jubé. C’est là que se faisait par l’office des lecteurs et des diacres la communication au peuple de l’épître, de l’Évangile et des leçons ; c’est là aussi que montait le prêtre officiant quand il avait quelques prières particulières à réciter aux fidèles ou quelque recommandation familière à leur adresser. L’évêque prêchait habituellement de l’abside ou des portes du sanctuaire. Chrysostome, qui avait la voix faible et que la foule assiégeait pour l’entendre, à tel point qu’il y avait péril d’être étouffé autour de lui, fit transporter sa chaire épiscopale sur l’ambon, d’où sa voix parvenait plus aisément dans toutes les parties de la basilique. De là son regard planait sur les galeries des femmes, et, lorsque la prédication s’adressait aux toilettes indécentes, il avait précisément en face de lui celles qui les portaient. Eugraphie et les amies d’Augusta occupant dans ces galeries une place d’honneur, on comprend que le moindre regard, le moindre geste de l’orateur pouvaient donner à ses observations morales une application directe que l’auditoire saisissait malignement. Le reproche d’allusions provocantes est en effet un de ceux que les contemporains firent à Chrysostome, et que l’histoire a répétés ; peut-être tenait-il en partie à la disposition des lieux où il prêchait, et cette explication m’était nécessaire pour l’intelligence complète des faits qui vont suivre.

Un furieux désir de vengeance s’était donc emparé d’Eugraphie, et comme elle était puissante dans la ville par ses immenses richesses, comme elle se servait de l’impératrice tout en la servant, elle monta une ligue terrible contre l’archevêque. Sa maison devint le rendez-vous de tous les ennemis de Chrysostome ou de quiconque pouvait leur fournir une arme pour le frapper : elle y attira des laïques et des prêtres, des officiers du palais, des courtisans et jusqu’à des moines. Tout clerc mécontent (il y en avait beaucoup