Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 70.djvu/224

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les réformés de leur côté, en défendant leur foi, ne songeaient nullement à rompre le pacte de tolérance qui les protégeait, à lever un drapeau de guerre civile. Et c’est ainsi que, jetée en face d’une élection royale, la Pologne se trouvait intéressée à sauvegarder cette liberté de conscience qui répondait, à tous ses instincts, qui assurait la paix publique en même temps qu’elle était le complément et la garantie de toutes les libertés nationales.

La politique intérieure de la Pologne en ce moment était donc la paix et la liberté ; sa politique extérieure était une virile et prévoyante défense dans une situation forte encore, mais où apparaissait tout ce qui faisait déjà la faiblesse de la nation avant de causer sa ruine. Quand on songe à tout ce qui est arrivé depuis, à cet enchaînement de circonstances qui a fait de la république polonaise la proie des ambitions coalisées, on se dit que cette longue catastrophe s’éclaire singulièrement de tout ce passé, que là était la clé de ce fameux et fuyant équilibre de l’Europe du nord. Les ennemis que la fière république avait à craindre, sous le poids desquels elle devait s’affaisser, elle les avait autour d’elle, se formant, s’essayant à l’œuvre future, la pressant de leurs invasions ou de leurs intrigues, et j’ajouterai que dans ce cercle d’hostilités croissantes elle représentait déjà réellement les mêmes choses qu’elle a toujours représentées depuis. Ce n’est pas de la Prusse que venait la menace. La Prusse moderne n’était pas encore née ; elle n’avait pas eu le temps de recueillir l’héritage de l’ordre teutonique, contre lequel la Pologne avait eu si souvent à lutter, dont elle avait fini par triompher, et que la réforme achevait de dissoudre par la sécularisation. Toutes ces provinces, la Prusse royale, la Prusse ducale, dépendaient de la Pologne, la première directement, la seconde par un lien de vassalité. L’héritier des griefs et des vengeances de l’ordre teutonique, l’électeur de Brandebourg, grand-duc de Prusse, était encore un vassal de la république ! Du côté de la Turquie, la Pologne guerroyait sans cesse, défendant ses frontières contre les Tartares, disputant à la domination ottomane cet éternel champ de bataille de la Moldavie et de la Valachie. La Turquie était le danger du moment, non de l’avenir ; la Prusse était le danger de l’avenir, non du présent. En réalité la Pologne avait à faire face à deux ennemis plus menaçans, plus puissans par la force ou par la ruse, et qui représentaient pour elle tout à la fois le danger du présent et de l’avenir. Ces deux ennemis, c’était la maison d’Autriche, qui s’appelait l’empire, et la Russie, qui s’appelait encore le grand-duché de Moscou.

Depuis deux siècles, entre la Pologne, personnifiée dans les Jagellons, et la puissance impériale, personnifiée successivement dans