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mettait en feu la plus grande partie de l’Europe. Ce fut peut-être un des plus curieux et des plus saisissans effets de cette pratique universelle de la vie libre d’avoir émoussé d’avance pour la république polonaise les dangers de cette redoutable scission morale, de lui épargner le déchirement des guerres de religion et la violence des répressions sanglantes. La liberté de conscience apparaissait comme une sœur de la liberté politique. La réforme n’avait précisément rien de populaire en Pologne ; elle n’émanait pas du génie national. Elle n’avait pas moins trouvé un accès facile dans les provinces polonaises. Tout avait servi à son développement, la passion de la nouveauté, la proximité de l’Allemagne, l’habitude qu’avaient les jeunes gens Polonais d’aller étudier à Wittenberg, la facilité de l’esprit slave à s’assimiler des idées étrangères. La réforme s’était ainsi répandue dans toutes les parties du pays. Elle avait fait de nombreux prosélytes parmi les plus grandes familles, les Lacki, les Zborowski, les Firley, les Gorka, les Radziwil, et bientôt, à partir de 1548, les diètes successives en étaient venues elles-mêmes à s’occuper du protestantisme pour le préserver de toute violence et légaliser en quelque sorte sa situation, en désarmant la juridiction ecclésiastique de toute conséquence politique et civile, en reconnaissant à tout noble le droit de célébrer dans sa maison les cérémonies de la religion nouvelle.

Ce n’est pas que le catholicisme fût vaincu. Il était après tout bien plus conforme au génie populaire ; il se liait aux plus grands souvenirs de l’histoire nationale, comme l’annexion de la Lituanie, à l’idée des luttes de la Pologne contre ses plus mortels ennemis ; mais la question était de savoir si le catholicisme devait dominer par le fer et le feu. Deux hommes essayèrent de provoquer cette réaction catholique : c’était le cardinal Commendon, envoyé par le pape, et celui qu’on a nommé en Pologne le grand cardinal, Hosius. Le pape Paul IV lui-même écrivit au roi Sigismond-Auguste pour lui reprocher ses faiblesses et le menacer d’excommunication. Cette tentative échoua dans son objet essentiel. Le respect de l’indépendance individuelle, devenu l’essence des lois et des mœurs polonaises, était d’avance un obstacle à toute persécution. Les hommes les plus sincères, les plus catholiques répudiaient l’idée d’une intervention de la force, « Je donnerais la moitié de ma vie, disait Jean Zamoyski, pour voir revenir au catholicisme ceux qui l’ont abandonné, mais je la donnerais tout entière plutôt que de les y voir contraints par la violence. » Cromer, qui était le coadjuteur d’Hosius, écrivait : « Il est juste qu’un roi maintienne la paix entre les dissidens de religion. » C’était l’idée de l’aristocratie, du clergé national lui-même, comme de la petite noblesse ;