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despotiques que la communauté polonaise se maintenait ; c’est au contraire par la liberté et dans la liberté que deux siècles plus tard les petit-fils de ceux qui avaient signé l’union d’Horodlo renouvelaient leur pacte à Lublin.

La liberté était justement le ressort, la force, l’éclat, on a dit depuis le péril de cette société, qui dès ce moment, au milieu de toutes les influences contraires et bien avant les autres peuples de l’Europe, réalisait au nord les deux principes essentiels de tout gouvernement représentatif, — le consentement national dans la formation du pouvoir, la participation directe, active, incessante des citoyens aux affaires publiques. L’originalité de la civilisation polonaise à ses plus belles heures a été dans le développement parallèle, dans l’alliance de l’esprit national et de l’esprit de liberté, dont le règne de Sigismond-Auguste fut, à vrai dire, le couronnement. À cette époque, les droits de tous, étaient dans leur plein épanouissement, le pouvoir des diètes s’était régularisé et affermi ; la noblesse, démocratisée en quelque sorte par l’invasion d’élémens nouveaux, avait conquis pas à pas toutes ces prérogatives ou ces privilèges qui en faisaient la classe prépondérante et souveraine, et qui justifiaient ce mot de l’historien Cromer : « c’est maintenant dans l’ordre équestre que réside toute la république. »

Ceux qui ont représenté les institutions polonaises comme les assises permanentes de l’anarchie ne les ont observées que dans leur déclin, et ils ont considéré comme le fruit naturel du régime ce qui n’en a été que la corruption fomentée et entretenue à un certain moment par toutes les ambitions intéressées. C’était, si l’on veut et pour me servir d’un vieux mot, un mélange singulier « de roi, d’optimat et de populaire, » où la tradition et la coutume avaient autant de part que la loi écrite ; ce n’était pas l’anarchie, et ce qui prouverait qu’il y avait une force préservatrice dans cette constitution vivace et mal définie, c’est qu’au moment où tous les autres états de l’Europe se déchiraient dans les luttes religieuses, la Pologne seule gardait la paix dans la liberté ; — c’est qu’elle allait traverser un interrègne de plus d’un an sans glisser dans la guerre civile, en se soutenant par sa propre énergie au milieu de toutes les compétitions déchaînées. C’était, à tout prendre, un régime fondé sur la plus large extension du principe de l’indépendance individuelle, — principe poussé plus tard à d’absurdes conséquences, mais qui était encore à cette époque la sève féconde de l’organisation polonaise. De là le caractère de ces institutions où la vie se répandait partout et ne se concentrait nulle part au sein d’une société fière de ses droits, accoutumée à se gouverner elle-même. Ce n’est pas que la royauté placée au centre de cette société fût sans