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réservez tous ces beaux escrits à mon frère, qui ne vous fait que tous les jours tailler de bonne besoigne… » C’était une nature étrange, pleine d’emportemens farouches, mais sans prédispositions méchantes. Il avait la passion des exercices violons qui usaient ses forces. Il chassait souvent jusqu’à s’épuiser, et quand il ne courait pas le cerf, il allait dans un atelier de forgeron et battait le fer jusqu’à se couvrir de sueur, jusqu’à perdre haleine. Au fond, à travers ses emportemens et ses accès d’humeur sombre, il avait des éclairs de générosité humaine, de raison politique. De tout son entourage, il était probablement le plus sincère dans les sentimens qui l’avaient conduit à signer la paix religieuse. Il écrivait à sa manière et d’un style assez pittoresque à un de ses ambassadeurs : « Je n’ai oublié aucune des recettes que j’ai pensé servir pour guérir, le royaume de cette playe et ulcère (la guerre civile), tantôt y employant les doux remèdes, tantôt la cauterre ; mais enfin, ayant connu que le temps et non autre en seroit le modérateur, et que ceux qui estoient à la fenêtre (les Espagnols) estoient bien aises de voir jouer le jeu à mes dépens, j’ai eu recours à la première manière, qui est de douceur, ayant par bon advis fait et arrêté mon édit de pacification, qui est le sceau de la foi publique, que j’ai baillé à tous mes sujets, sur le bénéfice duquel la paix et le repos sont rétablis parmi eux. »

Plus que tout autre aussi, il ouvrait son âme aux aspirations de la politique dont la guerre contre l’Espagne était le dernier mot. Il y voyait sans doute un moyen de s’émanciper, un aliment pour ses instincts impétueux ; il avait la passion d’aller à l’armée, lui aussi, de se distinguer, et il répétait que « sa vie n’estoit de si grande conséquence qu’elle deust estre précieusement gardée dans un coffré comme les bagues de la couronne. » Mais en même temps ce serait une erreur de croire qu’il ne saisissait pas toutes les conditions, toute la portée patriotique de la guerre vers laquelle il marchait. « Cette jeune âme dévoyée, pervertie, mais non pas vulgaire, a dit M. Henri Martin, se réchauffa un moment aux rayons de la vraie gloire. » Pendant quelques mois, Charles IX ne s’occupa que de nouer les fils de cette vaste entreprise, négociant avec Guillaume d’Orange, avec les princes d’Allemagne, avec les Anglais, avec les Turcs à Constantinople, laissant percer cette pensée invariable dans toutes ses instructions et disant avec bonne humeur après son traité avec l’Angleterre : « J’ay conclu la ligue avec la reyne d’Angleterre et envoie mon cousin, le duc de Montmorency, au dict païs pour cet effet, ce qui met les Espagnols en une merveilleuse jalousie et pareillement l’intelligence que j’ay avec les princes de la Germanie… Toutes mes fantaisies sont bandées pour m’opposer à la grandeur des Espagnols… »