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la limite de la France et de la Suisse, vivaient M. Necker et sa fille Mme de Staël, objets, l’un et l’autre, de la curiosité empressée de tous les voyageurs en Suisse, et centre permanent d’une société d’élite européenne sans cesse renouvelée. « M. Necker ; disent les souvenirs de M. de Barante, était alors vieux et malade, et sa vie privée le rendait un objet de vénération, même pour ceux qui jugeaient hostilement sa vie politique. Ce fut lui surtout dont la société plut à mon père. La conversation de Mme de Staël le séduisait, mais elle avait quelque chose de plus vif, de plus rapide, de plus hasardé que les habitudes de son esprit ; il n’était pas accoutumé à voir les impressions les plus fugitives se traduire en un langage qui avait autant de mouvement et de force que les sentimens les plus réellement passionnés et les pensées les plus profondément méditées. » Un homme d’un âge mûr et un peu timide, un fonctionnaire sage et responsable devait éprouver quelque inquiétude en présence d’un tel élan de l’esprit et de la parole ; mais pour les libres spectateurs c’était précisément là ce qui donnait à la société et à la conversation de Mme de Staël tant de charme et de puissance. Sa pensée et son âme bouillonnaient incessamment ensemble, aussi expansives que fécondes et toujours prêtes à éclater au dehors comme à fermenter au dedans, en toute occasion et sur toute sorte de sujets. Quelle séduction pour un jeune homme d’un esprit rare, neuf, prompt, qui n’avait jusque-là vécu que des leçons de l’École polytechnique, ou des habitudes de la famille, ou de ses lectures solitaires ! Dans quel monde nouveau et riche le faisait entrer Mme de Staël ! En même temps qu’elle lui en livrait à pleines mains les trésors, un vieillard vénérable et vénéré, l’un des hommes les plus célèbres de la révolution française répandait avec sérénité autour de lui les souvenirs et les enseignemens chèrement achetés de sa longue vie. Ces deux personnes, ces deux éloquences et les perspectives qu’elles ouvraient tantôt en arrière, tantôt en avant du temps présent, ne pouvaient manquer d’avoir pour M. Prosper de Barante cet attrait que suivent bientôt l’intimité et l’influence. La prudente sollicitude de son père s’en alarmait quelquefois pour son avenir. La méfiance et la malveillance de l’empereur Napoléon mettaient Mme de Staël et ses amis dans une situation toujours pénible et précaire, et le jeune Barante lui-même, en jouissant vivement de cette amitié brillante et douce, n’était pas disposé à y donner toute sa vie ; mais ses idées et ses sentimens en reçurent an caractère et une impulsion qui ne tardèrent pas à se révéler dans un cercle plus étendu et moins bienveillant que la société de Coppet.

En 1805, l’Académie française proposa, pour sujet du prix