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les états du pape, sans quoi je les ferai confisquer. Je n’entends plus que la cour de Rome se mêle de politique. Je protégerai ses états contre tout le monde. Il est inutile qu’elle ait tant de ménagemens pour les ennemis de la religion… Je donne ordre au prince Joseph de vous prêter main-forte, et je vous rends responsable de ces deux points : 1° l’expulsion des Anglais, Russes, Suédois et Sardes de Rome et de l’état romain ; 2° l’interdiction des ports aux navires de ces puissances. Dites bien que j’ai les yeux ouverts, que je ne suis trompé qu’autant que je veux bien, que je suis Charlemagne, l’épée de l’église, leur empereur, que je dois être traité de même, qu’ils ne doivent pas savoir s’il y a un empire de Russie. Je fais connaître au pape mes intentions en peu de mots. S’il n’y adhère pas, je le réduirai à la même condition qu’il était avant Charlemagne…[1].


Outre le pape et le cardinal Fesch, il y avait à Rome un troisième personnage qu’il fallait également faire courber sous le joug, c’était Consalvi. L’empereur avait gardé une haute opinion de son caractère et de ses talens. Il se souvenait d’avoir rencontré en lui pendant les orageuses négociations du concordat un défenseur aussi mesuré qu’intrépide des intérêts religieux du saint-siège. Trop avisé pour être trompé, trop consciencieux pour se laisser séduire, Consalvi avait fait à Paris même, sous les yeux du premier consul, ses preuves de fermeté. Comment intimider un aussi courageux ministre ? Toujours habile, même au milieu des emportemens de la passion, à discerner les qualités de ses adversaires, Napoléon n’y songea jamais sérieusement. Depuis le commencement de ses débats avec le Vatican, sa préoccupation était autre. Persuadé qu’il fallait surtout attribuer aux avis de son ministre la résistance inattendue de Pie VII, le fondateur de l’empire français, qui venait de bouleverser à son gré tant de choses en Europe, avait peine à s’imaginer qu’il pût être au-dessus de son pouvoir d’ôter sa place au secrétaire d’état du saint-siège. « Mes intentions sont que vous viviez en bonne intelligence avec le cardinal Consalvi, avait-il écrit naguère au cardinal Fesch. S’il y a quelque raison de se plaindre de lui, dites-le-moi tout en vivant bien avec lui. Je trouverai le moyen de le faire chasser. » Afin de le faire chasser, puisque c’est son expression, Napoléon ne cessa plus en effet pendant quelques mois de dénoncer continuellement Consalvi, tant à Rome par ses lettres qu’à Paris dans ses conversations avec le cardinal Caprara, comme l’unique auteur des difficultés qui venaient de surgir entre

  1. Lettre de l’empereur au cardinal Fesch, 23 février 1806. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XII,. p. 40.