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Chaldéens. Ils avaient presque au même degré que les Juifs fidèles une véritable antipathie pour les images, et leur religion dualiste touchait de si près au monothéisme, qu’à première vue on pouvait s’y tromper.

Quand on étudie de près les exhortations réitérées du second Ésaïe à ses compagnons de captivité, on s’aperçoit qu’il était temps que les succès de Cyrus vinssent faire diversion à l’accablement résultant pour les Juifs déportés de la prolongation indéfinie de leur exil. La génération qui avait encore vu Jérusalem avant sa destruction s’éteignait lentement. De nouveaux intérêts, de nouvelles habitudes, peut-être même les douceurs d’une civilisation matériellement plus avancée, avaient réconcilié avec leur sort beaucoup de Juifs arrivés jeunes ou nés sur la terre étrangère. On comprend aisément que les nombreux élémens du peuple d’Israël qui, sous le régime de l’indépendance nationale, sympathisaient si volontiers avec les cultes idolâtres et polythéistes, se fussent laissé entraîner à la prompte adoption de la religion de leurs vainqueurs. Les dieux de Babylone ne s’étaient-ils pas montrés plus puissans que le Dieu de Jacob ? Vus de mauvais œil par la population indigène, méprisés et maltraités comme des vaincus, comme des esclaves, ces Juifs découragés ne pouvaient espérer d’amélioration notable à leur sort qu’en s’identifiant le plus promptement possible à leurs maîtres. Pour cela, la voie la plus courte était de répudier une religion qui seule maintenait le cachet distinct de leur nationalité. On peut même découvrir que nombre d’entre eux, tout en gardant au fond du cœur le culte de leur dieu national, se plièrent hypocritement aux rites de la religion babylonienne. Enfin ces affreux malheurs, l’ébranlement des croyances, les hypocrisies plus ou moins forcées, avaient produit leur effet ordinaire de démoralisation. Ceux que l’adversité n’améliore pas deviennent pires. Tous ces traits de la situation des Juifs exilés sont minutieusement retracés par le second Ésaïe, et rien ne démontre mieux la date qu’il faut assigner à cette partie du livre.

Après Dieu, sur qui ou sur quoi se fondait donc l’espoir du prophète ? C’est sur ce « reste, » ce résidu indestructible qui se retrouve sur la terre d’exil comme aux jours des vieux voyans. On peut même dire que jamais cette élite n’a été plus fidèle, plus opiniâtrement attachée au monothéisme, plus imbue du sentiment qu’Israël a une mission céleste à remplir dans le monde, qu’il ne peut pas mourir tant que cette mission n’est pas accomplie. Le point de vue religieux s’est épuré dans l’adversité. Ce peuple, il est vrai, ne renonce nullement à l’idée qu’à l’accomplissement de sa tâche glorieuse se joindra pour lui et sa descendance la jouissance