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n’y a pas de mal quand on est dans une juste mesure. Vous ne trouverez sans doute pas mauvais que les jeunes filles aiment mieux danser le dimanche que le décadi ; Vous mettrez dans tout cela de la prudence et du discernement. »

Ainsi s’ouvrit pour M. de Barante le père la carrière administrative, où devait bientôt entrer aussi son fils. Le jeune Prosper s’était préparé, par d’autres études, à une autre destination ; il avait suivi les cours de l’École polytechnique. « Dans ma seconde année de cette école, dit-il, j’avais eu encore moins de goût et d’application pour les sciences mathématiques que pendant la première. Elles auraient dû être ma principale occupation, car elles sont le fond des études que j’avais à suivre ; je les négligeai, et je portai mon ardeur aux sciences naturelles, à la physique, à la chimie, à la minéralogie. D’ailleurs le spectacle des affaires publiques et la marche du gouvernement m’avaient donné le désir d’une carrière politique ; avant de quitter Paris pour aller voir mes parens à Carcassonne, j’avais subi mes examens en me présentant pour entrer à l’École des mines. J’avais bien répondu sur tout ce que j’avais étudié avec goût et application ; mais tout au plus médiocrement sur l’analyse mathématique. Ainsi j’avais à peu près la certitude que je ne serais pas reçu. C’est ce que je dis à mes parens, et ils accueillirent favorablement la pensée que j’avais de me destiner aux emplois publics ; c’est ce qu’ils m’auraient conseillé lors même que je ne l’aurais pas proposé. Il fut convenu qu’à mon retour à Paris je ferais des démarches pour entrer au ministère des affaires étrangères. Cette carrière était surtout dans le goût de ma mère ; mais, tant que je ne serais pas admis, je devais rester à l’École polytechnique, y reprendre mes études et les continuer jusqu’au moment où j’aurais d’autres occupations. Je ne fus pas docile à cette prudente volonté de mon père. L’École polytechnique m’ennuyait ; j’y étais inférieur dans tout ce qu’il importait de savoir. Je donnai étourdiment ma démission, et je le cachai à mes parents. Mes protecteurs m’avaient bien accueilli et m’avaient flatté d’entrer promptement aux affaires étrangères ; je crus à cette espérance, et je laissai croire à mon père que j’étais à Paris dans la situation qu’il avait voulue. La chose se découvrit bientôt. Je fus très honteux de ce tort, le plus grave que j’aie eu et que je me rappelle avec étonnement et regret. Du reste je n’avais pas mal usé de la liberté que je m’étais donnée ; je menais une vie assez studieuse et solitaire avec un de mes amis ; je lisais beaucoup, et j’apprenais l’anglais. »

Après la mort de sa mère, et pour apporter à la douleur de son père quelque distraction, M. de Barante fit avec lui un petit voyage