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qu’on m’avait chargé de remettre à mon père. Plus d’une fois j’entendis chanter sous les fenêtres de la prison

Il faut du sang, il faut du sang
Pour affermir la république.


J’imaginai de faire une pétition, et je la présentai à un membre du comité que j’avais vu quelquefois chez les amis de mon père ; il m’accueillit comme un enfant et m’appela mon petit ami. Ce ton et le sourire qui accompagnait sa réponse m’offensèrent beaucoup ; je trouvais indigne qu’il ne prît pas au sérieux la sollicitation d’un fils qui implorait pour la libération de son père. » L’infatigable dévouement, la courageuse présence d’esprit de Mme de Barante et le 9 thermidor sauvèrent seuls son mari. Un peu plus tard, quand on commença à croire à quelque retour de l’ordre social, le commissaire de la convention en Auvergne appela M. de Barante aux fonctions de procureur syndic du district de Thiers, « Il était très éloigné, dit son fils, du désir d’entrer, en un tel moment, dans les affaires publiques ; toutefois ses amis et les plus honorables citoyens de Thiers le pressèrent d’accepter. Assurer le bon ordre et le repos dans son propre pays, calmer les esprits inquiets, établir une trêve entre les opinions opposées, apaiser les rancunes des uns et rassurer les autres contre une réaction menaçante, c’était une honorable tâche lorsqu’on y était encouragé par la bienveillante confiance de tous les honnêtes gens. Mon père céda aux instances de ses concitoyens. » Plus tard encore, dans les glorieux débuts du consulat, le premier consul avait chargé son collègue M. Lebrun de lui présenter une liste pour les nominations aux préfectures nouvellement instituées. « Un jour que M. Lebrun dictait un projet de cette liste à M. Creuzé, son secrétaire intime, qui était en grande liaison avec mon père et même avec moi, tout jeune que j’étais, il ne se présenta à la mémoire du consul aucun nom pour le département de l’Indre ; M. Creuzé lui dit que, s’il voulait le lui permettre, il lui indiquerait un fort bon choix, et il lui parla de mon père. — Je ne le connais pas, répondit le consul ; mais écrivez son nom, j’y penserai. — Par un heureux hasard, le nom resta sur la liste, et mon père fut nommé préfet de l’Aude, non pas de l’Indre, qui convenait mieux à un ami de M. Lebrun. Mon père alla remercier le consul, qui l’accueillit avec bienveillance. — J’ai fait pour vous, monsieur, lui dit-il, une chose un peu légère ; j’ai désigné pour un poste important un homme que je ne connais pas, mais je ne m’en repens pas ; tout ce que j’ai appris de vous me persuade que j’ai bien fait. Il est possible que vous soyez un peu aristocrate ; il