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d’œuvres maladives où le sentiment cédera le pas à la sensiblerie. En art, comme en toute chose, nous estimons que la liberté est préférable à ces systèmes, qui le plus souvent ne servent qu’à donner quelques fonctionnaires de plus à l’état. Ce qui ressort de l’examen des salles réservées à la peinture française ; c’est que l’enseignement, j’entends un enseignement rationnel et sérieux, fait défaut. Il n’y a plus de maître assez fort pour s’imposer, faire admettre ses tendances et créer à côté de lui un atelier théorique où l’on pourrait apprendre les premières et indispensables notions de l’esthétique appliquée. Le dernier qui fit réellement école en France fut M. Ingres, et les trop rares élèves qui lui survivent sont les seuls qui savent voir la nature d’une certaine manière et l’approprier au grand art qu’ils cherchent toujours et trouvent quelquefois. En dehors d’eux, il n’y a plus que confusion ; chacun va au hasard de sa fantaisie et de son intérêt ; la petite école des pompéistes qui marchait, non passibus œquis, derrière M. Gérôme, s’est dispersée aussi ; et nous restons en présence d’individualités remarquables, mais qui s’isolent et n’attirent personne vers elles. Cette indépendance absolue, ce mépris de toute règle, cette ambition excessive qui jette chacun dans une voie particulière, peuvent avoir un bon côté et faire surgir tout à coup une personnalité considérable ; mais jusqu’à présent le résultat le plus clair a été d’affaiblir singulièrement la masse générale des artistes qui luttent, sans pouvoir la vaincre, contre une médiocrité désespérante. De ce chaos sortira peut-être la lumière, je le souhaite avec ardeur ; peut-être cependant serait-il imprudent d’y croire avec trop de confiance. Nous avons certainement des peintures remarquables à offrir aux regards des étrangers, elles eussent même acquis une valeur plus grande sans les déplorables conditions dont j’ai parlé en commençant ; mais à toutes ces toiles savantes, tapageuses ou régulières que j’aperçois, je préfère, comme disent les artistes, un bout de dessin fait par Flandrin, simple esquisse à peine crayonnée, et qui représente une Tête de Christ. C’est de l’art au plus haut degré, et nul aujourd’hui ne pourrait plus, hélas ! exécuter une pareille étude.

Si nous éprouvons quelque tristesse en comparant l’école française à ce qu’elle a été et à ce qu’elle devrait être, nous ne pouvons qu’être satisfait lorsque nous la voyons en regard des écoles étrangères : dans la peinture d’histoire et de genre, nous avons un groupe de dix ou douze artistes auxquels l’Europe ne peut opposer que deux ou trois individualités éparses en Allemagne et en Belgique. Ils sont tous différens les uns des autres, et si aucun n’est un maître complet, chacun d’eux a du moins des qualités de premier ordre. Nous ne nommerons que les meilleure, ceux