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Abailard, Savonarole et Taüler, un des plus rudes lutteurs du XIIIe siècle. Devant eux, debout, élevant la Bible allemande entre ses mains, Luther montre à l’humanité le grand précepte : « aime ton prochain comme toi-même ; » L’artiste l’a représenté jeune, vigoureux ; plein d’enthousiasme et de foi, tel qu’il devait être à Worms quand il brûla solennellement la bulle. A sa droite se tient Zwingle, à sa gauche Juste Jonas ; près de ce dernier, Bugenhagen, le réformateur poméranien, un calice à la main, se penche vers Jean de Saxe et Jean-Frédéric ; derrière ces deux personnages, on aperçoit Albert de Brandebourg et des conseillers des villes hanséatiques. A côté de Zwingle, Calvin, vieux, sec et anguleux, offre la communion à un groupe où l’on reconnaît des Suisses, des huguenots français, Coligny et Maurice de Saxe ; au-dessous d’eux se dressent Guillaume d’Orange et Barneveldt. — C’est là le côté religieux et politique de la composition, il est complété par les Anglais célèbres : Essex, Burleigh, Drake, Cranmer et Thomas Morus, qui suivent la reine Elisabeth. Au centre même du tableau, M. Kaulbach a placé les hommes qui représentent ce qu’on pourrait appeler l’alliance de la paix, âmes douces et indulgentes qui ont tout fait pour calmer les esprits, pour amener des concessions mutuelles, pour arriver enfin au compromis satisfaisant de la confession d’Augsbourg : ce sont Mélanchthon, Éberhardt de Tann, qui, conseiller de Saxe, mit à l’apaisement général une ardeur extraordinaire, puis Ulrich Zase, qui, comme diplomate, fut un des agens les plus actifs de la pacification. Au-dessous d’eux et symbolisant la démocratie intelligente, travailleuse, honnête et préoccupée de l’Allemagne, je vois Hans Sachs, le cordonnier poète, qui fut, comme chacun sait, un des hommes les plus étranges de son temps.

Ce n’est pas tout, car il y a eu à l’époque de la réformation d’autres hommes que des théologiens, des diplomates et des soldats. Il y a eu un mouvement pacifique qui a bouleversé le monde par des découvertes dans les lettres, les sciences et les arts. M. Kaulbach s’est bien gardé de l’oublier, et il l’a représenté avec une largeur de pensée extraordinaire. Le premier groupe placé à la droite du spectateur comprend les humanistes, les poètes, les orateurs, les historiens : Jacques Balde, le jésuite poète, Pétrarque, l’Espagnol Vivès, le philologue Ficin, Pic de la Mirandole, Campanella, Machiavel. A leur tête semblent marcher les deux hommes qu’on appelait de leur vivant les deux yeux de l’Allemagne, Érasme et Reuchlin ; puis viennent Shakspeare, Cervantes, le jurisconsulte français Dumoulin, le cardinal Krebs, qui changea son nom barbare en celui de Cusa, sa ville natale, le poète