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une part sérieuse dans cette œuvre digne d’éloges. Dans le grand-duché de Bade, il faut citer de M. Raller la Mort de Philippe II, roi d’Espagne, qui est un très estimable tableau d’histoire, et de M. Saal une Forêt de Fontainebleau au clair de lune dont nous avons déjà parlé ici même en 1863.

Malgré les peintres que je viens de nommer et leurs œuvres, qui toutes se distinguent par des qualités spéciales, l’Allemagne artiste n’aurait qu’une importance secondaire à l’exposition universelle, si M. Kaulbach n’avait envoyé un de ses magnifiques cartons aux galeries de la Bavière. M. Kaulbach est un des grands maîtres de la peinture moderne, car, par sa façon absolument neuve de comprendre les compositions historiques, il a introduit dans l’art un élément nouveau. Il est le premier qui ait appliqué avec une autorité si grande le synchronisme dans la peinture d’histoire. Il ne mêle pas, comme M. Matejko, la vérité et l’allégorie ; il ne s’occupe des faits que pour en tirer une sorte de philosophie morale extrêmement élevée sur laquelle son œuvre s’appuie avec une largeur de conception sans égale. Il résume une époque entière et excelle à en dégager l’âme, à laquelle il donne plastiquement un corps net, distinct, palpable. — C’est là une qualité précieuse, très rare, évidemment obtenue par une culture intellectuelle très avancée, qu’on peut facilement acquérir par l’étude et dont je voudrais voir les artistes français se préoccuper très sérieusement. Nul parmi nous, il faut savoir le reconnaître avec sincérité, ne pourrait rien faire qui ressemblât au carton que M. Kaulbach nous montre aujourd’hui. Il est intitulé la Réformation, et l’on pourrait le surnommer l’École d’Athènes du protestantisme. Nous en parlerons avec quelques détails, car c’est le seul moyen de faire comprendre par quel procédé, à la fois simple et ingénieux, M. Kaulbach arrive à ordonner de si grandioses compositions.

La scène se passe dans une cathédrale allemande, cathédrale gothique, car le protestantisme fera pour le culte qu’il vient remplacer ce que ce dernier a fait jadis pour le paganisme : il prendra ses demeures, les purifiera et y installera la loi nouvelle. Deux colonnes la soutiennent, ce sont les colonnes de la foi ; devant chacune d’elles se tient un roi guerrier et une reine : Gustave- Adolphe et Elisabeth d’Angleterre. Au fond du chœur semi-circulaire sont assis les précurseurs, ceux qui, ébranlant peu à peu l’autorité spirituelle et temporelle de la papauté, ont enfin permis aux peuples de substituer le dogme du libre examen à celui de l’autorité infaillible : ce sont Wiclef, Geiler de Kaisersberg, qui fut un des plus ardens fustigateurs du clergé de son temps, Jean Wessel le théologien hollandais, Jean Huss, Pierre Walde, Arnaud de Brescia,