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tout à fait effacée, et n’est plus représentée que par deux toiles peu importantes de M. Grant. Au lieu des beaux animaux que sir Landseer avait exposés, il n’apporte qu’une composition prétentieuse qui ne se rachète même pas par une bonne exécution. La plupart des tableaux, poncés, fourbis, papillotans à force d’avoir voulu tout reproduire, ont l’air de grandes agates arborisées. Ce défaut est surtout remarquable chez les paysagistes. On dirait qu’ils se sont sérieusement proposé pour but de reproduire la nature telle qu’elle est, dans tous ses détails, et de faire le portrait de chaque tige d’herbe ; Le type en ce genre est la Pièce d’orge de M. Charles Lewis. C’est une œuvre de patience extraordinaire, semblable aux travaux que la reine Grognon imposait à la princesse Gracieuse ; c’est un tour de force, mais à coup sûr ce n’est pas un objet d’art. L’art est une synthèse et non point une analyse. Ce n’est pas rendre l’aspect d’un champ, ni l’impression qu’il produit, que de peindre chaque épi séparément et de dessiner une perdrix plume à plume. Dans la voie de l’imitation servile, la peinture échouera toujours, et la photographie lui est supérieure. Dans le Paysage en Angleterre de M. Robert Collinson, la même préoccupation amène les mêmes défauts. Au bord d’un ruisseau, chaque brin d’herbe, chaque feuille de myosotis, chaque tige de menthe est exécutée avec ses nervures et ses soulèvemens d’épiderme. C’est de l’aberration. La même manie, la même minutie dans les détails, la même importance donnée à des accessoires superflus détruit absolument l’effet de la Clarisse de M. Leslie, où cependant se retrouvent quelques-unes des agréables qualités de cet artiste. Quant au Satan semant l’ivraie et à la Veille de sainte Agnès de M. Millais, ils sont loin, bien loin de l’Ordre d’élargissement, qui avait été fort remarqué à Paris en 1855. du vieux proverbe dit : Qui veut trop prouver ne prouve rien ; c’est le fait de M. Millais. Il fatigue l’attention, il la disperse sur des objets inutiles, et, à force de vouloir être original, il tombe dans l’impossible, pour ne pas dire plus. La Veille de sainte Agnès représente une jeune fille qui se déshabille le soir sans lumière dans sa chambre, éclairée par la lune ; les croisillons de la fenêtre apparaissent en ombre portée sur son jupon blanc, et donnent à ce dernier l’air d’une cage à barreaux irréguliers et indécis. La coloration, teinte-neutre de toute la toile, est des plus désagréables et ne rachète guère la médiocrité de la composition. Le seul peintre remarquable qui, par la largeur de sa touche et l’ordonnance bien disposée de son tableau, s’éloigne des défauts que nous avons signalés chez ses compatriotes est M. Henri Wels ; ses Volontaires au tir sont dignes d’éloge en tout point. Chaque personnage est un