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avoir déposé dans d’immenses bassins une partie des matières qu’elles tiennent en suspension. Il n’y a pas lieu, paraît-il, d’être satisfait de cette organisation, qui ne produit qu’un liquide louche, souvent limoneux, malgré les moyens de filtrage employés, et d’une température telle en été qu’on ne peut la boire sans l’avoir rafraîchie.

Il n’est personne qui n’ait entendu parler du canal de la Durance à Marseille et du magnifique pont de Roquefavour, sur lequel ce canal traverse la vallée de l’Arc, au lieu même où Marius détruisit les Teutons. La ville de Marseille était autrefois alimentée d’eau potable par des puits de bonne qualité et quelques sources d’eau excellente ; mais le territoire environnant, brûlé par le soleil, restait stérile et nu, et les bassins du port, dont l’eau n’était jamais renouvelée, répandaient dans l’atmosphère une infection proverbiale[1]. Au XVIe siècle, Adam de Craponne avait proposé d’emprunter à la Durance de quoi irriguer les terrains secs de la Provence. Ce projet, trop grandiose pour l’époque, ne fut exécuté que jusqu’à Arles. Après une longue période d’études et de tentatives avortées, le canal actuel fut enfin ouvert en 1846. Il fournit à la ville et à la banlieue de Marseille un énorme volume de 10 mètres cubes par seconde, soit 864,000 mètres cubes par jour. Les résultats de ce bel ouvrage n’ont pas été aussi avantageux qu’on le devait espérer. La Durance est une rivière torrentueuse qui charrie en tout temps, surtout au moment des crues, une énorme quantité de boue et de limon ; chaque mètre cube apporte près d’un litre de limon, en sorte que l’eau est impropre aux usages domestiques, convient même assez mal à l’arrosage des rues, et ne produit un effet vraiment utile que sur les terres stériles de la banlieue, transformées en jardins et en prairies par ces irrigations abondantes et ce colmatage énergique. On s’est proposé de décanter cette eau en l’arrêtant à divers points du parcours, entre la Durance et Marseille, pour la laisser reposer dans des bassins d’une vaste superficie. Ce procédé d’épuration n’a pas encore tout à fait réussi. D’ailleurs le dépôt limoneux qui s’amasse au fond des bassins devient bientôt un embarras, puisqu’il ne s’agit de rien moins que de 7 à 800 métres cubes par jour.

On comprend par ce qui précède que l’approvisionnement d’une ville en eaux de rivière est toujours sujet à de graves inconvéniens. C’est pourtant par ce moyen imparfait qu’est alimentée Londres, la plus grande ville de l’Europe. Il s’agit là d’une population

  1. Voyez dans la Revue du 1er août 1866 l’intéressante étude de M. Bailleux de Marizy sur la ville de Marseille, ses Finances et ses Travaux publics.