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retira au-delà du Mincio que le lendemain matin. C’était donc la preuve que les Autrichiens se trouvaient ou singulièrement exténués eux-mêmes par cette longue lutte, ou étrangement incertains sur le degré de résistance que les Italiens pouvaient opposer encore.

C’est le plus puissant maître de la guerre, Napoléon, qui a dit, si je ne me trompe, que souvent le soir d’une bataille il n’y a pas une grande différence entre les vainqueurs et les vaincus, et que tout tient un peu à l’idée qu’on se fait de part et d’autre, ce qui ne signifie qu’une chose : c’est qu’une victoire est presque toujours dans l’effet moral bien plus que dans les résultats immédiatement sensibles. Rien ne le prouve mieux que Custoza. Au premier aspect, rien certes ne semblait perdu, puisque l’armée du Mincio comptait encore plus de 100,000 hommes qu’on pouvait ramener au combat d’un corps entier qui restait intact, des divisions qui avaient à peine vu le feu, d’autres divisions, qui, en ayant été fortement éprouvées, ne se laissaient pas atteindre dans leur esprit. Par malheur l’impression au camp italien dépassait évidemment la réalité. La déception du soir se proportionnait à la confiance du matin. On tombait un peu du haut d’un rêve, et jusqu’en cette mauvaise fortune surtout en cette mauvaise fortune les détails obscurcissaient encore, je le crains, le sentiment simple et supérieur des choses. En un mot, un accident de guerre qui pouvait être réparé devenait presque un désastre qui, d’un seul coup, suspendait l’élan de Cialdini sur le Pô, en même temps qu’il rejetait l’armée du Mincio au-delà de l’Oglio, où elle allait se réorganiser. Toujours l’impression ! Et c’est ainsi que cette bataille de Custoza, perdue, regagnée, reperdue, dans tous les cas honorable, restait comme le résumé brillant et douloureux de cette campagne d’un jour, dont le nœud allait être tranché par d’autres avant même que l’armée italienne eût le temps de rentrer en action, — et cette fois dans des conditions bien différentes, où la diplomatie avait autant de part que la guerre. Heureusement dans cette phase nouvelle, où elle a porté, je le sais bien, l’amertume d’une déception cuisante, l’Italie avait pour elle plus que la gloire militaire, qui est sujette aux éclipses, plus que le courage d’une armée vaillante, qui peut avoir ses jours de malheur ; elle avait le droit, la puissance vivace de son instinct national, sans compter cette force des choses dont je parlais, qui l’a si souvent servie, et qui une fois encore allait faire sortir d’une défaite, comme elle aurait fait sortir d’une victoire, l’affranchissement de Venise, le couronnement de son indépendance.


CHARLES DE MAZADE.