Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 70.djvu/1012

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ferrare… » Mais dans ce plan, tenté d’ailleurs avec les forces les plus considérables, l’opération du Mincio restait évidemment la principale. L’armée du roi faisait plus qu’une démonstration dans son invasion de la rive gauche, dans sa marche en avant, alourdie par tout un attirail de bagages dont on se faisait suivre, et qui, en encombrant les routes, gênait toutes les évolutions. Enfin dans les combinaisons de cette entrée en campagne simultanée il y avait un calcul d’approximation qui pouvait devenir singulièrement dangereux. L’armée du roi franchissait le Mincio le 23 pour se remettre en marche dès le 24 au matin, tandis que l’armée de Cialdini ne devait passer le Pô que le 26. La première conséquence, c’est que deux ou trois jours étaient laissés à un ennemi qui pouvait sans doute ne point en profiter, mais qui, avec la liberté de ses mouvemens, la facilité de ses communications et une inspiration heureuse, pouvait très bien aussi essayer d’aller chercher un succès vers le Mincio pour revenir faire face à Cialdini.

Ce n’est pas tout : le quartier-général italien vivait dans une illusion singulière que favorisaient des apparences spécieuses, et qui l’enhardissait peut-être dans son entreprise. Il était persuadé qu’on ne devait pas rencontrer l’ennemi, au moins au premier moment, et qu’on aurait le temps d’arriver sur la ligne qu’il se proposait d’atteindre. Tout ce qu’il voyait, tout ce qu’il avait appris, lui indiquait que les Autrichiens, renonçant à défendre le terrain entre le Mincio et l’Adige, restaient immobiles à l’abri du dernier de ces fleuves. Quelques reconnaissances, dirigées toutefois d’un seul côté, vers Villafranca, n’avaient aperçu que des patrouilles légères de cavalerie se repliant sur Vérone. On en concluait qu’on avait devant soi l’espace libre. C’était vrai effectivement le 23 ; il n’y avait que la division de réserve autrichienne laissée plus haut entre le lac de Garde et l’Adige, à Pastrengo, et si l’armée italienne se fût portée rapidement dès ce jour-là sur les points qu’elle devait essayer d’atteindre le lendemain, elle les aurait trouvés inoccupés ou bien peu défendus. Ce n’était plus vrai le matin du 24. Qu’était-il arrivé ? L’armée autrichienne n’avait pas quitté sans doute à la première sommation de guerre les positions qu’elle occupait entre Vérone, Vicence et Padoue. Elle ne s’était nullement hâtée dès les premiers jours de sortir de cette attitude défensive que la politique lui imposait peut-être, mais qui devenait aussi une prudente et habile tactique inspirée par un sentiment juste des circonstances. De cette façon, l’archiduc Albert, avec son corps d’opérations tout entier sous la main, laissait les Italiens dessiner leurs mouvemens, et restait maître de se porter là où l’orage serait le plus menaçant ; avec l’avantage de pouvoir tirer parti des fautes ou des témérités de ses adversaires. C’était une nécessité de sa situation entre deux feux,