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est écrite dans un règlement avec tarif, dont les articles ont jusqu’à révision la force d’un contrat. Ces remaniemens de tarif ne sont pas fréquens ; on ne les fait que de loin en loin, et seulement lorsque les conditions de la vie matérielle ont éprouvé des modifications sensibles. C’est alors surtout que le concert des parties ayant le même intérêt est nécessaire pour agir sur les prix, car les résolutions individuelles, qui ne peuvent triompher d’un usage tacitement accepté, seraient à plus forte raison impuissantes contre la coutume écrite et expresse. On l’a vu lorsqu’en 1862 les typographes de Paris ont obtenu la révision des tarifs arrêtés en 1850. Entre les deux dates, le prix des subsistances avait tellement augmenté que le salaire, immobilisé et en apparence toujours le même, était devenu en réalité très inférieur, puisqu’il ne donnait plus en 1862 la même somme de jouissances domestiques qu’il pouvait procurer douze ans auparavant. Plusieurs patrons, reconnaissant cette différence, s’empressèrent d’accorder l’augmentation que demandaient leurs ouvriers. Auraient-ils fait cette concession, si une grève n’avait pas menacé d’arrêter leurs machines ?

La loi de 1864 a déjà fait naître bien des regrets parmi quelques-uns des législateurs qui l’ont votée. Les industriels lui attribuent les maux dont ils souffrent et la rendent responsable des appréhensions que leur inspire l’avenir. Ces craintes sont exagérées et ces accusations mal fondées. Écartons d’abord, comme étrangères à la question, les scènes déplorables qui dernièrement ont jeté l’épouvante dans la ville de Roubaix. Est-ce que le code pénal de 1810 avait empêché les ouvriers de Saint-Étienne de briser en 1830 les machines destinées au forage des canons et d’entrer en lutte avec la garde nationale qui voulait arrêter le désastre ? Est-ce qu’il a empêché les ouvriers de la Croix-Rousse d’occuper, en maîtres la ville de Lyon du 22 novembre au 3 décembre 1831 ? En Angleterre, pendant l’année 1853, sous une loi qui punissait sévèrement la coalition pacifique, loi qui n’a été infirmée que par le bill de 1859, les ouvriers fileurs de Preston ont fait une longue grève, terrible par les excès dont elle a été accompagnée autant que par les pertes dont elle a été suivie. Lorsqu’en 1844, dans le bassin de la Loire, les ouvriers mineurs fermèrent tous les puits et promenèrent dans les rues de Rive-de-Gier leurs compagnons récalcitrans violemment arrachés au travail, le code pénal du premier empire n’était-il pas en vigueur ? Personne cependant ne s’avisa d’imputer à la législation de 1810 des désordres dont il était si facile de voir la source dans les emportemens irréfléchis de la nature humaine. Quant aux insurgés de Roubaix, les tribunaux ont plus d’un article à leur appliquer, et ce serait, — par erreur ou par système, — faire une