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Sous le rapport juridique, la loi de 1864 donne à la tranquillité autant de garanties qu’on peut le désirer ; mais à un autre point de vue le problème qu’elle enferme n’est pas exempt de quelque obscurité. Des économistes ont écrit que la coalition, loin d’amener l’élévation du salaire, avait presque toujours pour dernier résultât un abaissement du prix de la main-d’œuvre. Cette idée a été développée dans un livre publié en Angleterre sous ce titre : De l’influence des coalitions sur la baisse des salaires. A notre avis, cela est vrai, mais quelquefois seulement, non pas toujours, et il faut déterminer la part de la vérité et de l’erreur.

Si la justice veut que les ouvriers reçoivent une rémunération suffisante de leur travail, la nature des choses demande aussi que le capitaliste obtienne un profit proportionné aux risques dont il se charge et au travail de direction qu’il donne à l’entreprise. S’il ne trouvait pas dans les bénéfices une compensation suffisante des chances auxquelles il s’expose, le capital irait féconder une industrie moins ingrate. En admettant que toutes les opérations fussent au même degré peu rémunératrices, il ne sortirait pas des caisses qui l’enferment, préférant une immobilité improductive à une activité exclusivement périlleuse. Inquiet ou menacé, le capital n’a pour se défendre qu’à s’abstenir, et, à moins de violer la liberté personnelle du détenteur, le bénéfice suffisant est le seul moyen qui puisse être employé légitimement pour attirer les fonds vers une affaire. Si donc la coalition élevait les salaires au point de supprimer les bénéfices du patron, on verrait à l’instant plusieurs maisons se fermer, et, le travail étant moins demandé, le salaire éprouverait une dépression permanente à la suite d’une hausse temporaire. Il est rare aussi que les coalitions violentes ne détruisent pas, à cause des immenses désastres qu’elles occasionnent, un certain nombre de fabriques où de nombreux ouvriers étaient employés. Ces ouvriers inoccupés encombrent le marché, et la baisse du salaire est immédiate, les maisons qui n’ont pas succombé demeurant maîtresses de la situation. C’est l’action de cette loi qui a été exprimée par Cobden sous cette forme vive : « il y a baisse lorsque deux ouvriers courent après un capitaliste, et hausse quand deux capitalistes courent après un ouvrier. » Il est donc vrai que la coalition fait quelquefois baisser le salaire, et c’est ce qui a lieu toutes les fois que, par suite d’une diminution exagérée des profits ou de l’énormité des pertes qu’elles éprouvent, des maisons arrêtent leur fabrication, et, en fermant leurs ateliers, augmentent la somme des bras disponibles. A présent que les ouvriers peuvent se réunir pour s’entendre sur leurs intérêts communs, ils ne perdront pas de vue la responsabilité qui leur incombe ;