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formation de la société coopérative. L’échec était-il imputable à l’idée ? Nullement, puisque des sociétés de même nature, qui sont en pleine prospérité, permettent à leurs chalands de réaliser une économie de 20 pour 100 sur l’alimentation. Plusieurs fonctionnent à Lyon, qui procurent cet avantage aux sociétaires, et la compagnie du chemin de fer d’Orléans, dont l’exemple peut être imité par une société coopérative bien conduite, a, par cette combinaison, réellement augmenté les traitemens de ses employés, en leur donnant le moyen de diminuer leurs dépenses.

De toutes les applications de la coopération, celle qui a le mieux réussi est assurément le crédit mutuel. Les succès qu’il a obtenus en Allemagne sont tellement probans qu’il est impossible de contester l’efficacité de ce genre d’établissement ; du nord au sud, vingt états germaniques en portent témoignage[1]. Pourquoi cette forme de la coopération n’a-t-elle fait encore, de ce côté-ci du Rhin, que des progrès relativement peu considérables ? C’est que les ouvriers français se sont de préférence portés vers les sociétés de production, vers celles qui doivent substituer au salaire la participation aux bénéfices. L’association pour le crédit populaire ou pour la consommation a des avantages qu’ils reconnaissent ; mais elle ne leur semble pas, comme la société de production, propre à changer l’organisation industrielle. Aussi n’accordent-ils à la première que de l’estime ; ils se passionnent pour la seconde. Tandis qu’en Angleterre la coopération a eu surtout pour objet la vente des objets de consommation, et en Allemagne la création de banques populaires, en France, les plus grands efforts ont été faits en vue de ranimer et multiplier, mais sans subvention de l’état et sans le secours de la loi, les associations ouvrières de 1848. La substitution de la libre convention à l’autorité du législateur est assurément un notable progrès. Cependant, même ainsi comprise et dégagée du socialisme autoritaire, l’association pour la production offre dès difficultés qu’il faut signaler.

Elle absorbe trop l’associé dans l’œuvre commune ; elle le soumet à une discipline sévère, d’autant plus difficile à supporter peut-être qu’elle est exercée par un homme qui, la veille, était

  1. Le mouvement a été tellement rapide qu’après avoir commencé obscurément dans la petite ville de Delitsch, en 1850, il avait, quinze ans après, fait naître dans tous les états de l’Allemagne, au nord, au centre et au sud 961 sociétés, dont 515 avaient fait connaître le chiffre de leurs opérations. En 1865, d’après le dernier rapport annuel de M. Schulze, ces 515 sociétés comptaient 173,511 associés, dont l’avoir, encaisse et fonds de réserve compris, s’élevait à 18,750,427 fr. Elles avaient prêté dans l’année à leurs sociétaires environ 260 millions de francs. Nous n’avons pas en France plus de cinquante sociétés de crédit mutuel, et le mouvement qui date de 1857 s’est propagé très lentement.