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à la manière antique. Déjà ils sont devenus inséparables, lorsqu’un jour Hypérion rencontre chez Alabanda des hommes que celui-ci lui présente comme ses amis ; leur air mystérieux, leurs discours empreints d’une ironie glaciale, faite pour flétrir la foi dans le cœur d’Hypérion, alarment son amitié ; il interroge Alabanda, qui élude ses questions ou n’y répond que par des moqueries légères, puis par un silence injurieux. Cette réserve, qu’Hypérion prend pour une indigne défiance, amène une rupture, et les deux amis se séparent en échangeant pour adieux des paroles de colère et de dédain : déception cruelle, qui allait plonger Hypérion dans une incurable mélancolie, si dans l’île de Kalaurée il n’eût rencontré Diotime. Diotime est la sérénité, la beauté, la grâce, elle est aussi la pudeur et l’enthousiasme ; aux séductions de la Vénus Anadyomène elle unit la majesté sainte de la Panagia. Ils s’aiment bientôt d’un amour où l’intelligence a autant de part que le cœur, et dans cet amour de la beauté, unique débris échappé au naufrage de la vie antique, Hypérion retrouve le calme et le bonheur. Tout à coup il reçoit d’Alabanda, enrôlé depuis longtemps dans une société qui lui faisait du secret une loi inviolable, la nouvelle que l’heure du réveil va sonner, que la délivrance se prépare ; le moment est venu pour ceux dont le cœur palpite encore, de paraître et d’agir. Hypérion n’hésite pas, il obéit sans réplique à cette sommation de l’amitié retrouvée, il s’arrache aux enchantemens de Kalaurée, aux entretiens de Diotime, et bientôt dans les champs de la Morée il combat contre les barbares. Après l’horrible prise de Misitra, désespéré de voir la sainte cause de la patrie souillée par les excès de ceux qui la soutiennent, il prend la résolution de se faire tuer dans le prochain combat. Il n’est que blessé, et, rappelé à la vie par le dévouement d’Alabanda, il est sur le point d’aller rejoindre Diotime, lorsqu’il apprend qu’elle a succombé à sa douleur. Sans patrie et sans amour, il embrasse l’exil et va cacher son désespoir parmi les nations du nord.

Dans ce livre, éclatant de couleurs et plein de juvéniles élans, où des pensées profondes apparaissent à travers la transparence cristalline et les nuances irisées d’un style ravissant, on voit se croiser les inspirations les plus contraires, l’idéalisme de Jean-Paul et la tension surhumaine des héros de Plutarque. Hœlderlin a entassé dans cette encyclopédie sentimentale, pêle-mêle avec les passions qu’il a connues ou rêvées, ses interprétations de la nature, sa philosophie de la vie universelle et de l’histoire, ses visions d’une fraternité cosmopolite, par-dessus tout son admiration pour l’hellénisme. Si son âme est pénétrée de toutes les aspirations modernes, la simplicité de ressorts et l’énergie active de l’âme antique